L’Algérie capitulera-t-elle devant la soif ?
Algérie - Feu Antoine de Saint-Exupéry se serait suicidé de honte s’il avait songé, un seul instant, à redescendre en 2020 en hôte près des fontaines publiques de la cité oranaise. Il ne trouvera point d’eau dans une ville en crise, une ville qui surpassait par sa soif la réputation de ces pénuries d’eau dans les mégavilles surmédiatisées.
Dernièrement, une émission de l’ENTV traita du problème de l’eau en Algérie. L’on remarque d’ailleurs une stratégie vile, la stratégie du fragmentaire ! Et puis voilà... La problématique actuelle de l’Ouest oranais vient de nous rappeler que nous nous trouvons bel et bien en pleine frénétique quête du phréatique.
Car ce qu’a vu l’explorateur français lors son escale en Algérie durant l’été de 1939, ne différera en dramatique de ce que vont vivre les Algériens ces prochaines années pathétiques. Les narrations apathiques de Saint-Exupéry étaient fulgurantes au point où Diane Ward Raines, la plus grande spécialiste américaine de l’eau, n’a jamais oublié des passages qu’elle avait retenus depuis l’adolescence.
En résumé, Saint-Exupéry était frappé par le fait que des enfants de la rue ne lui demandaient pas des sous mais «un petit peu d’eau». La remarque ne méritait nullement le commentaire et la spécialiste mondiale en a pris soin en la mentionnant dans son livre à succès [Water War: Drought, Flood, Folly and the Politics of Thirst].
Dans une contribution parue dans les cahiers sciences du Boston Globe, la dame de l’eau évoqua des petits messages analogues qu’elle avait recueillis dans ses pérégrinations autour du monde: «Donnez-nous de l’eau !» a-t-elle lu en grosses lettres rouges dans le défilé de Khyber entre le Pakistan et l’Afghanistan; ou l’inscription «Dieu, donnez-nous de l’eau !» placardée en énormes lettres blanches sur des maisons dans le centre de la Turquie; voire «Priez pour qu’il pleuve !» affiché à l’arrière d’un camion au Texas.
La situation est incontestablement critique, elle l’est davantage en Algérie car depuis plus de vingt-cinq ans maintenant, les gouvernements successifs sont restés à des années-lumière d’une compréhension élémentaire de ce que peut bien représenter un manque d’eau, une pénurie grandissante à même de compromettre le bien-être des populations entières.
Durant les années 80, les gens qui étaient en charge de l’Etat étaient incapables de s’apercevoir que notre pays connaîtra en 30 ans le doublement de sa population. Il a fallu arriver en été 2002 pour être face à une catastrophe mortelle. Mais ce qui intrigue la spécialiste américaine, c’est la multiplication de la libération des déchets ménagers dans les cours d’eau, mais surtout les différentes maladresses visant à salir les eaux souterraines. Un jeune ingénieur algérien avait merveilleusement illustré le rôle néfaste des «ennemis de l’eau en Algérie» dans sa thèse (Université Sorbonne Sud 94) et sur les dangers qui guettent la nappe phréatique de la région de Bouthelja (Tarf) dénommée par la population locale Ma Bouguelez.
Toujours dans cette région de l’Est de Annaba - Tarf, on supervisait dès 1985 la démolition du barrage naturel formé par la côte et qui s’étend à partir d’Echatt, trente-cinq kilomètres à l’est de Annaba. En effet, un groupe d’extracteurs de sable s’adonnait à la démolition de cette partie côtière. Les étudiants de l’université de Annaba qui faisaient des sorties en vue d’accomplir des études sur les plaines hydrogéologiques du Lac des Oiseaux n’en revenaient pas devant le désastre qui à chaque fois s’offrait à leurs yeux.
L’Algérie était en effet en train de programmer ses crises à partir d’un tel exemple.
En octobre 2002, on a eu l’occasion de parcourir cette région. Les gens peuvent facilement remarquer les dégâts causés par l’enlèvement en profondeur du sable de mer.
Une halte s’impose: dans la gestion d’un Etat, les graves erreurs commises dans l’intervalle de deux années peuvent continuer à faire des dommages pendant 40 ans au moins, ce qu’admettent d’ailleurs la majorité des spécialistes en gestion. Et voilà. La paix sociale se trouve gravement menacée et on a vu des émeutes d’envergure à propos de l’eau les étés derniers en Algérie. Que dire encore des maladies liées à l’insalubrité et à la saleté, et dont le parfait exemple nous vient malheureusement de la région oranaise et le cas célèbre de la peste.
Mme Diane estime que pour l’Afrique du Nord, le problème n’est pas nouveau, mais au siècle dernier on avait cru le conjurer en bâtissant des réservoirs de ville (châteaux d’eau) et en allant chercher ce produit dans le sous-sol ou en mettant en valeur des captages de sources. Mais la demande galopante des populations - et de l’agriculture - a révélé ces dernières 30 années, une inadéquation manifeste qui n’est pas seulement la résultante normale des changements climatiques, mais d’une pollution ordonnée des cours d’eau et des nappes existantes.
Le Maroc et la Tunisie font preuve de sévérité car il existe une règle de l’autorité et de la loi. Reste le pays le plus indiscipliné du Maghreb, évidemment le nôtre, car sa mauvaise gestion d’un secteur comme l’hydraulique vacillant entre la corruption le non savoir-faire et le laisser-aller, est encore l’exemple le plus illustrant.
Par El Haj Zouaimia - Quotidien d'Oran, le 10 décembre 2006.
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