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Algerie- Tiaret : Vivre à 44 degrés à l'ombre !

canicule a Tiaret

Fin juin, il faisait encore frisquet sur toute la région du Sersou, lorsqu'en deux temps trois mouvements, le mercure s'est emballé pour flirter avec les 40 degrés Celsius en l'espace de vingt-quatre heures seulement. En ce jeudi 7 août, il est à peine huit heures du matin et le soleil est déjà à «poil»... !

Plongée dans une lourde torpeur, la ville assoupie paraît comme abandonnée par ses habitants. Aux quatre coins de la ville, pas âme qui vive, à part une poignée de quidams se dirigeant à la manière des «automates» vers le centre-ville. Au beau milieu de la «place rouge», indémodable bourse à ragots de la cité des Rostémides, des silhouettes avachies glissent d'ombre en ombre à la recherche d'un brin de fraîcheur.

Fidèle à sa réputation, la «place rouge» donne l'impression de chuchoter dans l'oreille de la ville pour lui raconter des «histoires» qui ne tiennent jamais debout. Khaled est un jeune de 39 ans qui court après un job depuis... onze ans. Cigarette au bec, il s'adresse au journaliste pour lui raconter «son» aventure. Acceptant un petit boulot de garçon de café dans une ville frontalière, Khaled devient un «hallab professionnel», avant de se faire «choper» et de purger huit mois derrière les barreaux.

Faisant bon et gros coeur contre mauvaise fortune, Khaled, même s'il accepte ce que la vie a fait de lui, a toujours un sang d'encre à la vue du mausolée de Sidi M'hamed, transformé en une «décharge à ciel ouvert», fulmine-t-il. Autres gens, autres moeurs cet été à Tiaret, tout le monde a la nette impression de devenir «fauché» et pour cause ! Dans une région où il fait bon ou mal vivre en fonction de la saison agricole, cette année, la terre comme le ciel ont été peu magnanimes avec des conséquences ressenties par tout un chacun.

A commencer par ces commerçants de la prestigieuse rue Bugeaud (aujourd'hui dépréciée), dont certains «gardent le tiroir-caisse fermé pendant plusieurs jours», se plaint ce vendeur de savates made in. «Coincés» entre moustiques et chiens errants Cet été à Tiaret, les moustiques ont envahi jusqu'aux salons climatisés, donnant des nuits blanches à plus d'un. Nombreux sont les habitants, de la partie sud de la ville surtout, qui pointent un doigt accusateur vers la mairie «qui n'a pas fait son boulot», s'époumonent-ils à l'unisson.

Le corps criblé de piqûres de moustiques, ce père coléreux s'est même rendu jusqu'à la maison de la presse pour dénoncer l'envahissement de sa demeure au quartier de Teffah par des «escadrons» de diptères. «Jamais, se plaint Tayeb, les moustiques n'ont été si nombreux que cette année. L'autre phénomène causant des désagréments à tous est bien sûr celui des chiens errants, qui ont investi les quatre coins de la ville.

Au quartier de Volani, personne n'a droit au sommeil tant des meutes de molosses passent la nuit à polluer l'air d'horribles aboiements au pied des immeubles. Les campagnes sporadiques d'abattage des chiens errants n'ont pas donné les résultats escomptés, au grand dam des Tiaretis. Les malades mentaux «occupant» la ville constituent l'autre spectacle affligeant.

Alors que des «cars en provenance d'autres wilayas du pays débarquent tous les jours des individus avachis faisant de la manche une profession comme toutes les autres», jure par tous les dieux Djillali, un vendeur de poisson à la sauvette. En ce jeudi caniculaire, un malade mental justement, un couteau dansant dans la main droite, «coupe» l'air en livrant un spectacle gratuit aux nombreux badauds stationnés tout autour de la «place rouge» au macadam brûlant.

Il est presque dix heures passées et toute la ville n'est pas encore arrachée à son sommeil et pour cause... La veille, une canicule à faire tituber un dromadaire a contraint plus d'un Tiareti à humer l'air frais dehors, jusqu'à très tard dans la nuit. Les paradis artificiels de la drogue Pris au piège de la mal vie et du chômage, des «grappes» de jeunes plongent tête la première dans l'enfer de la drogue.

Dans les populeux quartiers du sud de la ville, des jeunes, les yeux bouffis, tirent comme des forcenés sur des joints gros comme des cigares. D'autres se shootent aux psychotropes pour fuir, un furtif moment, une réalité trop dure à supporter. Cette année, plus de 180 affaires liées aux trafics des stupéfiants ont été traitées par les services de sécurité. Malik est un jeune homme de 21 ans qui aurait pu mener une vie comme tous les jeunes de son âge.

Actuellement hospitalisé au niveau de l'hôpital psychiatrique de Tiaret, il a toutes les difficultés du monde à se débarrasser de son addiction à cette «saloperie» que l'on appelle le kif. Les autres jeunes passent les longues et fastidieuses journées d'été à pratiquer ce sport national qu'est la drague ou le «rince-oeil», comme l'appellent d'aucuns.

Au spectacle de ces voitures rutilantes usant leurs pneus neufs sur du macadam brûlant, répond ce «contraste» de groupes de jeunes arpentant les rues de la ville et bavant d'envie à la moindre silhouette féminine. Alors, pour permettre à tout le monde ou presque d'aller faire trempette au bord de la grande bleue, cette année aussi des navettes sont assurées tous les week-ends pour acheminer par bus des pelotons entiers de familles et autres. En effet, chaque week-end, des groupes de célibataires désoeuvrés se ruent vers les plages du littoral mostaganémois. Le prix du voyage est de 400 dinars «seulement» et la somme paraît déjà pour beaucoup encore hors de portée de leurs maigrelets porte-monnaie.

Pour les moins veinards, trouver un petit job pour se faire un peu d'argent de poche reste la principale préoccupation dans une ville où le chômage sévit à l'état endémique. Comme poussés par une irrésistible envie de changer d'air, des jeunes, à peine sortis de l'adolescence, «tirent des plans sur la comète» pour tenter de trouver le moyen d'»enjamber» la grande bleue en quête de lointains horizons.

Pourtant, en mars dernier, Tiaret avait perdu onze de ses enfants, morts noyés en mer Méditerranée. Leur perte gratuite avait suscité un grand émoi, au point que deux ministres de la République ont fait le déplacement pour prendre langue avec des jeunes qui continent à tendre une oreille aux appels du large... La dèche et le mauvais grain Dans une région où la vie économique et commerciale est réglée en fonction d'une bonne ou d'une mauvaise saison agricole, cette année, la terre a été peu généreuse, avec des retombées catastrophiques sur les agriculteurs et autres éleveurs, mais aussi un impact des plus négatifs sur le pouvoir d'achat des Tiaretis.

Cette année, plus d'un Tiareti mange en effet du «mauvais grain» à cause d'une saison agricole des plus mauvaises dans une ville où l'agriculteur ne va pas, comme rien ne va plus. «Cette année, il n'y a pas assez de sous, et cela se ressent chez tous, à commencer par les commerçants qui voient leurs chiffres d'affaires se réduire comme peau de chagrin», soupire Djillali, affalé sur une table dans un café maure au nord de la ville.

Au café maure de «Erras Soug», chez son ami le défunt El-Ayeb, à 17 heures tapantes, l'endroit est plein à craquer. Fréquenté par les petites gens du quartier, l'air est à peine respirable dans cet endroit envahi par les épaisses volutes de fumée de cigarettes. Occupant des tables bringuebalantes sous une lumière blafarde, des clients sirotent du café maison succulent, il est vrai, mais peut-être un peu trop chaud par une température qui frise la fournaise.

Dans ce quartier populaire et populeux de la partie septentrionale de la ville de Tiaret, les «descentes» de la police sont fréquentes pour traquer les dealers et les vendeurs à la sauvette qui pullulent à cet endroit. Se rafraîchir à l'ombre des jets d'eau Cet été, comme le «douro se fait rare», selon les termes de Khaled, un «désargenté chronique», nombreux sont ceux qui meublent leurs longues et chaudes journées estivales par des hobbies... de fortune.

Pas trop vite le matin, doucement le soir, les Tiaretis semblent se passer le mot pour rester terrés chez eux jusqu'à 10 heures passées. Après une brève virée sous un soleil dardant, ils retournent à leurs domiciles flanqués d'une pastèque ou d'un melon blet pour les plus «chanceux». Vers 17 heures, lorsque la chaleur se fait moins oppressante, ils ressortent dehors soit pour aller quêter le précieux liquide à la légendaire source de Aïn El-Djenane, soit pour aller flâner dans les rues et mordre la poussière dans une ville où la propreté et la salubrité publique ne sont encore que de vains mots.

Vers 19 heures, une foule bigarrée est agglutinée aux alentours de l'ex-place Carnot. Devinez pour quelle raison ! Les jets d'eau, encore flambant neufs, sont utilisés comme des climatiseurs naturels pour se rafraîchir avec les «postillons» dégagés par une eau fraîche provenant directement de Aïn El-Djenane. Jusqu'à une heure tardive de la nuit, des jeunes et des moins jeunes hument l'air frais sur du marbre rutilant au milieu d'interminables palabres au sujet de tout, de tous et de rien en même temps.

Le «rince-oeil», un passe-temps favori Excepté le jeudi où l'ambiance est plus colorée en raison des fêtes de mariage, le reste de la semaine, la ville est comme assommée par un vide sidéral. Interdit de chapitre depuis des lustres, plus personne à Tiaret ne sait ce qu'est une activité culturelle ou artistique. Victime du changement pourtant annoncé de l'ordre des priorités, Dame Culture n'est plus «crédible» aux yeux «bandés» de personne, «même pas par ceux-là même censés la sortir de son sarcophage», souffre en silence un artiste plasticien, doublé d'un romantique lui-même désappointé d'une vie qui n'offre plus rien d'intéressant à se mettre sous la dent.

Aucune association culturelle ni troupe musicale, jadis fierté de la ville de Ali Mâachi, n'a survécu à la mode terriblement réaliste du «manger avant de songer», susurre du bout des lèvres un ex-mélomane, que les «morsures» de la vie ont transformé en un alcoolique invétéré. Alors, pour tremper l'ennui ambiant, tout le monde se débrouille comme il peut.

A commencer par la drague, un sport national qui fait de plus en plus d'adeptes convaincus. Jusqu'au «rince-oeil» lui aussi devenu un passe-temps favori de trois personnes sur quatre dans une ville qui transpire l'ennui jusqu'à l'étouffement ! A part quelques brèves virées nocturnes pour les plus téméraires, des sorties le soir pour les fêtards dans les rares tripots de la ville, la plupart des Tiaretis se terrent chez eux dès 20 heures tapantes pour se shooter à volonté aux... images venues d'ailleurs.

«Ici comme ailleurs, les antennes paraboliques sont autant d'oreilles tendues pour écouter un monde certes ailleurs, mais sûrement meilleur», nous dit, un rien déprimé, Kaddour, un homme à la force de l'âge que l'envie irrésistible de passer quelques jours avec sa marmaille au bord de la grande bleue démange depuis des années sans qu'il ait la moindre chance, se désespère-t-il, de réaliser son rêve un jour qui ne viendra peut-être jamais...

Son alter ego, planté comme un clou juste en face de lui, nous fusille de son regard torve pour nous balancer à la figure: «S'il vous plaît, monsieur le journaliste, dites et redites-leur (à qui?) que l'mout oula août à Tiaret...!». Rien que ça !

Synthèse de l'article - Equipe Algerie-Monde.com
D'après Le Quotidien d'oran. Par El-Houari Dilmi . Le 12 août 2008.

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