Algerie - Trois personnages dans un couffin
C'est un pays vaste, habité du sud au nord par un oléoduc, du nord au nord par un intestin, de l'est à l'ouest par le tracé d'une autoroute et du sud au sud par des hommes gentils tricotant des vents de sable et empaquetant des paquets de Marlboro.
Y habitent trois personnes: un Président, un peuple et des gens malins. Le premier se croit unique, seul, inévitable, fort et incontournable.
Sa faiblesse est qu'il y croit vraiment, sa force est qu'il croit qu'il a un destin là où les autres n'ont qu'un passé et à peine un présent, expliquera un esprit malin au chroniqueur.
C'est pourquoi il ne parle presque pas ou seulement à Dieu, aux étrangers et aux groupes d'Algériens de plus de 300 personnes dans une seule salle et en un seul discours.
Le second, le peuple, se croit lui aussi unique, seul, inévitable, fort et incontournable. Sa force c'est son nombre, ses modes de reproduction, ses racines sans récoltes et son poids en vrac. Sa faiblesse c'est sa naïveté en politique et sa ruse dans la division du travail. Le troisième, les gens malins se croient eux aussi uniques, seuls, inévitables, forts et incontournables.
Leur force est dans la ruse propre à tous les néocolonisés, la proximité avec les robinets, le soutien des anciens colons et la capacité à placer les ministres et à fabriquer les lois de finances selon les besoins de la cueillette.
Comment les trois vivotent ensembles ?
Quand le peuple a faim, on lui donne à manger un peu pour qu'il ne crève pas en martyr et lorsqu'il demande l'équité, on lui donne un cheval ou on lui change son Président. Lorsque le Président se dit fatigué, on lui ramène la moitié du peuple à la fenêtre qui lui criera qu'on n'attend que lui.
Quand le Président ne veut pas partir, on lui ramène l'autre moitié du peuple et on ne lui donne rien à manger pendant longtemps. Que fait le peuple dans ces cas-là ?
Rien: 130 ans de colonisation ont démontré que c'est un héros fainéant qui se bat bien, mais réagit lentement. Reste le Président: avec son destin écrit pour lui tout seul, il est là: il n'aime pas le peuple qui l'a oublié dès 1979, ni l'Etat qui a choisi un autre là où l'histoire n'attendait que lui, ni le pays qui le trompe énormément.
Son souci étant de trouver comment sortir de l'histoire honorablement ou la continuer en se la racontant à soi-même. Dans tous les cas, le destin lui permet d'avoir un destin: s'il gagne contre les gens malins, il aura mieux fait que Messali, survécu plus que Boudiaf, gouverné mieux que Zeroual et pourra mieux finir que Ben Bella. S'il échoue, il aura déjà mieux résisté que Chadli.
Que disent les gens malins ? Ils ne disent rien mais agissent. Ils vendent, achètent, pensent, se rétractent, recrutent, consultent, nomment, conseillent et menacent. Leur recette est toujours la plus simple: faire croire au peuple que c'est lui qui a libéré le pays et faire croire au Président que c'est lui qui libère les deux.
Ainsi, et malgré l'apparence de désordres terribles du pays, chacun a son rôle et son bon usage: on offre au Président la chance unique de reprendre sa propre histoire à partir de la date fatidique de 1979 et au peuple la croyance qu'il va redémarrer à partir de 1962.
On offre aux deux l'attente qui fabrique les meilleures religions. Chacun dans sa bulle, les plus malins étant eux-mêmes au service de plus malins qu'eux. Dans la sourde et rapace hiérarchie carnivore de la mondialisation, certains pays respirent encore alors qu'ils sont allongés dans du pain.
Synthèse de l'article - Equipe Algerie-Monde.com
D'après Le Quotdien d'Oran. Par Kamel Daoud. Le 27 août 2008.
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