Algérie - Des bébés abandonnés, des chiffres et des subterfuges Avortement : un tabou et des victimes
Lundi dernier, un bébé abandonné a été découvert vers 6 h du matin dans une décharge sauvage au quartier populaire de Saint-Pierre à Oran.
Le nouveau-né, secouru à temps, a été pris en charge par la pouponnière de la ville.
Ce fait divers témoigne d'un phénomène qui a pris définitivement racine dans les mœurs sociales.
Ainsi, ce sont 30 nouveau-nés, dont 19 sans vie, qui ont été découverts dans les rues d'Oran depuis le début de l'année en cours alors que le bilan de 2007 se chiffre à 27 victimes.
Mais, loin de constituer une «spécialité» locale, l'abandon des bébés, en vie ou décédés, est répercuté sur le plan national où les comptes rendus des journaux font de plus en plus état de découvertes macabres. «Le nombre de 30 cas de bébés jetés n'est que la partie apparente de l'iceberg.
Combien d'autres dont les corps ne sont jamais découverts ?», s'interroge Fatma Boufenik, enseignante chercheur et présidente de l'association FARD. Sommet de l'iceberg, certes, qui laisse transpirer le problème de l'avortement en Algérie. «Ces infanticides ne sont que le résultat d'un avortement qui n'est pas arrivé à terme», témoigne B.Sadek, sociologue.
«Ces enfants abandonnés dans la rue, dans les poubelles ou au milieu des décharges publiques sont le fruit d'un avortement qui a n'a pu avoir lieu faute d'argent ou de réseau», explique-t-il.
En l'espace d'une décennie, selon certaines lectures, et d'un peu plus selon d'autres, l'avortement épousant la conjoncture nationale est devenu un véritable phénomène de société. Les chiffres communiqués par la gendarmerie nationale jettent un coup de froid puisque, selon des statistiques officielles, quelque 8.000 avortements sont pratiqués chaque année.
«Je pense qu'il est temps de casser un tabou pour nos officiels car la société a trouvé le subterfuge pour passer outre», commente Mme Boufenik, qui tient cependant à souligner que ses déclarations n'engagent que sa personne.
Reliant les cas d'abandon à l'avortement, elle dresse un constat négatif de la situation puisque les chiffres officiels sont éloquents même s'ils sont loin de la réalité comme tient à le souligner le docteur Boualem Ouzriat, de l'association maghrébine pour l'étude de la population, dans un document intitulé «l'avortement provoqué en Algérie».
L'auteur est surpris de trouver des taux si élevés d'illégitimité sur le total des naissances enregistrées.
En effet, près de 15.000 enfants sont nés hors mariage durant la période 2000-2005.
Selon lui, ces chiffres communiqués par le ministère de la Solidarité nationale sont battus en brèche par une étude récente. Les chiffres de la tutelle, lit-on dans l'étude, demeurent loin de la réalité car une étude indépendante a révélé que 7.000 naissances illégitimes sont recensées chaque année en Algérie, alors que le département officiel ne parle que de 3.000 naissances illégitimes par an. L'avortement en Algérie est strictement interdit.
La loi dans ce sens est on ne peut plus claire.
L'article 304 du code pénal stipule «quiconque par aliments, breuvages, médicaments, manœuvres, violence ou par tout autre moyen, a procuré ou tenté de procurer l'avortement d'une femme enceinte ou supposée enceinte qu'elle y ait consenti ou non est puni d'un emprisonnement de un an à cinq ans et d'une amende de 500 à 10.000 dinars. Et si la mort en résulte, la peine est la réclusion de 10 à 20 ans».
En cas de viol, l'interruption d'une grossesse n'est pas autorisée sauf s'il s'agit d'un viol commis dans le cadre d'un acte terroriste. Outre l'autorisation des autorités publiques dans ce cas-là, une fetwa a également consenti à l'avortement dans le même cas.
Il a fallu plusieurs années de lutte des associations féminines et des familles des victimes du terrorisme pour que ce qui devait obéir au bon sens soit admis.
La loi de la peur
Malgré cette épée de Damoclès au-dessus de la tête des contrevenants à la loi, la peur du regard de la société est souvent la plus forte.
«S'il est facile de tomber dans l'illicite, ses conséquences sont difficiles à assumer», s'explique B.Sadek qui tout en condamnant l'acte en lui-même arrive à comprendre les raisons qui poussent la femme à y recourir. Une solution «clandestine», pour Mme Boufenik, dont les victimes restent «les populations les plus défavorisées».
«Malheureusement les solutions clandestines font, toujours, payer le prix fort aux populations qui sont dans le besoin et qui sont les plus défavorisées: pratiques traditionnelles dangereuses pour la vie des femmes et leur santé (...). Et encore faut-il que la femme ait un réseau relationnel qui lui permet de se faire avorter.
Le plus dramatique, ce sont les toutes jeunes femmes qui lorsqu'elles avortent, ne sont pas médicalement et psychologiquement 'bien' accompagnées et lorsqu'elles n'arrivent pas à le faire, c'est toutes leurs vies qui éclatent. Souvent le résultat est la rue et par conséquent la prostitution.
A cela s'ajoute le drame de l'infanticide», résumera-t-elle.
Pour nombre d'intervenants dans la question, l'urgence est dans la prise en charge du problème et la «décriminalisation» de l'avortement.
La réunion de juin dernier à Bouira a permis de lever un pan sur le dossier lorsqu'une rencontre de sensibilisation sur les risques liés à l'avortement ou l'interruption volontaire de la grossesse (IVG) a été organisée par l'Association algérienne pour la planification familiale (Aapf). Pour la première fois, les différents participants ont débattu de l'avortement en général, longtemps considéré comme un sujet tabou dans notre société.
Ils ont abordé les dangers qui peuvent affecter la santé de la mère et établi que l'avortement à risque est une cause majeure de décès et de handicap pour beaucoup de femmes et qu'il peut être aussi à l'origine de la stérilité chez ces dernières.
«Il faut que les institutions concernées gouvernementales et non gouvernementales prennent leurs responsabilités pour mener un débat serein et objectif sur la légalisation de l'avortement, en priorité les grossesses non désirées pour les cas de viols et pour tous les cas des adolescentes qui le souhaitent.
Par ailleurs, il est temps d'introduire un chapitre dans l'éducation civique sur la question de l'éducation sexuelle et faire l'information sur l'existence de la pilule du lendemain», conseille Mme Boufenik avant de se déclarer: «en tant que militante des droits des femmes, je suis pour la légalisation de l'avortement en cas de grossesse non désirée. Regardons de près le cas de la Tunisie pour comprendre qu'il est possible de trouver une solution socialement et culturellement acceptable».
Synthèse de l'article - Equipe Algerie-Monde.com
D'apres Le Quotidien d'Oran. Par Moncef Wafi. Le 22 Septembre 2008.
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