Algérie - L'illusion du bouton majeur
Qu'est-ce que finalement ce pays si ce n'est la distance qu'il y a entre lui-même et ce qu'il peut, veut, vit ? Analyse d'une mécanique de la lenteur nationale: Bouteflika se lève à 06h du matin (tout le monde sait qu'il dort peu mais cela ne sert à rien chez nous) puis décide.
C'est ainsi que tous les écoliers algériens pauvres auront 2.000 DA à la rentrée scolaire.
Le gouvernement en est instruit, puis le ministre, puis les directeurs centraux, puis les directeurs de wilayas, puis les directeurs des écoles et les maires. Cela prend le temps X sur la valeur Y. Techniquement, il s'agit d'une mesure urgente décidée pour alléger le poids des familles pauvres le plus rapidement possible.
Elle suppose une direction éclairée, des pauvres véritables, un circuit de transmission astrale. Ce n'est pas le cas. La mesure prend un temps X, fou, pour arriver aux écoles et aux APC. Là, il faut donc établir des listes et les assainir.
Cela prend le temps Y sur la valeur Z. les pauvres en Algérie sont trompeurs, comme la pauvreté ou la richesse. Les enfants ne sont plus des enfants depuis octobre 1988. Un cartable peut transporter la Savoir, du kif, une tête décapitée ou de l'argent sale.
Tout est floué, sous-titré, falsifié et peu digne de confiance. Donc, les directeurs d'écoles et les maires font les listes des pauvres enfants de pauvres. Les parents sont invités à fournir des documents prouvant qu'ils ne sont pas employés ailleurs.
A la fin, ce qui a été pensé par Bouteflika comme un hommage au Boumediénisme sentimental, se transforme en bousculade aux portes des CNAS pour l'obtention du fameux document. La charité se bureaucratise et se fait rattraper par le labyrinthe national avant de finir en vache acculée. Interviennent alors les philosophes : qu'est-ce qu'un pauvre ?
Un homme qui ne travaille pas ou un homme qui travaille mais qui gagne peu et perd beaucoup avant d'en mourir ? Cela se complique aussi par ce fait qu'en Algérie, le secteur informel compte plus de pauvres et de riches que le secteur formel.
Un homme peut être riche sans jamais avoir été inscrit comme employé, un homme peu être pauvre après 30 ans de carrière dans l'entreprise communale de transport en commun par exemple. Le document de la CNAS ne prouvant rien, le Prophète étant mort et seul Dieu ou les amoureux pouvant décoder les coeurs, le problème reste entier. Cela prend le temps Z dans le pays B.
Et cela se complique ensuite par décision de Bouteflika d'ajouter 1.000 DA au 2.000 pour en faire 3.000 DA. Les demandeurs refluent vigoureusement, munis de coupures de journaux, vers les maires qui leur expliquent que Bouteflika a certes décidé mais qu'il faut attendre les mécanismes nationaux de revalorisation pour le supplément de 1.000 DA.
Cela prend le temps qu'il faut et pousse à constater : il en va de même pour tous le reste. Crédit, Ousratic, barrage vert, réformes, décret, aides aux agriculteurs, importation de viande fraîche... etc.
Cela commence par un Président qui croit que sa parole est magique, finit chez un peuple qui croit que l'argent est gratuit depuis 1962 et passe par des administrations qui n'existent pas, mais qui continuent à tourner autour du pays.
Cela s'appelle la gouvernance, la fiction ou tuer le temps. Cela reste un art très national. Même à El-Mouradia, une télécommande ne peut allumer que la télé.
Synthèse de l'article - Equipe Algerie-Monde.com
D'apres Le Quotidien d'Oran. Par Kamel Daoud. Le 29 Septembre 2008.
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