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Algérie - Libérer l’histoire nationale des distorsions partisanes

Liberer l'histoire 1ere partie

L’Histoire, telle qu’elle est écrite, ne reflète que partiellement l’actualité passée qu’elle prétend décrire. L’historien est confronté à une multitude de détails de la vie des générations passées et doit, parmi cet amas d’acteurs et de faits, que ce soient des décisions concrètes ou de simples déclarations écrites ou verbales, des évènements cruciaux ou anodins, faire le tri entre l’important et le marginal, entre l’évènement dont la portée dépasse l’actualité, et le fait divers qui n’a de résonnance que par rapport au présent dans lequel il est survenu.

L’historien cherche, à travers la matière première recueillie dans les archives, à travers l’analyse de la presse et des informations diffusées par les médias lourds, par l’interview des acteurs ou des témoins encore vivants d’évènements passés, la lecture des témoignages écrits, à retrouver les lignes de force qui sous-tendent tous ces évènements et leur donnent un sens qui explique le présent. Il n’y a pas d’évènement historique qui n’ait pas son reflet dans l’actualité, quelque lointain qu’il soit dans le passé. Cependant, si objectif soit-il, si intègre intellectuellement tente-t-il d’être, l’historien vit dans un présent qui colore sa vision du passé. L’Historien vit dans le présent et ne peut y échapper ! Il ne peut pas sortir de sa peau ou de son corps, se désincarner pour mieux saisir le passé.

Il y a donc toujours un élément de subjectivité dans la reconstitution des évènements historiques, qui tient, et cela peut apparaître comme une banalité, à la personnalité de l’historien, aux circonstances spécifiques dans lesquelles il effectue ses recherches, à ses penchants politiques, à l’idéologie à laquelle il adhère consciemment ou inconsciemment.

Chaque historien est prisonnier de son histoire personnelle, de l’actualité qu’il vit lui-même, comme de sa personnalité telle qu’elle s’est constituée au fur et à mesure des évènements et des expériences dont l’accumulation et l’enchaînement dans le temps constituent la trame de sa vie en tant qu’individu.

Reconnaissant les limites de ses capacités intellectuelles comme le fait insurmontable de son emprisonnement dans un corps, une personnalité et une période, éléments sur lesquels son contrôle est naturellement limité, et au regard de la myriade des informations qu’il doit traiter pour aboutir à une vision des évènements qu’il étudie aussi proche que possible de leur réalité telle que vécue par les générations passées, l’historien honnête ne peut qu’être conscient de l’imperfection de la description qu’il donne du passé, si proche ou si lointain fût-il de l’actualité dans laquelle lui-même, en tant que futur sujet d’histoire, vit. Un historien professionnel étudie le passé pour comprendre le présent et imaginer le futur ; il ne tente, cependant, pas de retrouver dans le passé une justification du présent.

Il étudie les évènements passés sans préjugé et sans idée de renforcer les prises de positions personnelles sur la situation présente qui constitue son environnement temporel et spatial. Il ne tente pas de distordre les évènements passés pour qu’ils confortent ses analyses plus ou moins biaisées du présent dans lequel il vit. L’historien ne peut échapper totalement aux pressions du présent ; mais il ne peut faire son métier et aboutir à des conclusions valides- parce que soutenues par les résultats de ses recherches- que s’il ne subordonne pas l’analyse des faits dont il a trouvé les preuves dans le passé aux besoins conjoncturels du temps présent.

Etre objectif ne veut pas dire refuser de s’engager ! Il ne s’agit nullement de refuser à l’Historien le droit à l’engagement dans les luttes actuelles de la Nation dont il fait partie. Un Historien ne perd pas ses droits de citoyen en embrassant la profession qu’il a choisie ; il doit seulement s’assurer que son engagement personnel ne biaise pas sa recherche au point où elle perd toute validité scientifique, et devient un simple exercice politique qui souffrira alors des aléas propres à la conjoncture qui l’a dicté. Si l’Historien veut faire oeuvre utile, c’est-à-dire travailler pour que les résultats de ses recherches gardent leur validité au-delà des circonstances particulières qui les ont motivées, il ne peut que s’abstenir de justifier systématiquement le présent par la recherche de preuves dans le passé.

Et justifier est un exercice différent d’expliquer ! Les résultats de ses recherches ne sont certes pas protégés contre des utilisations abusives circonstancielles par des hommes politiques voulant asseoir leur pouvoir sur une certaine vision de l’Histoire correspondant aux intérêts qu’ils défendent et à l’idéologie politique par laquelle ils rationalisent leur pouvoir. Il faut distinguer entre l’engagement politique, ouvert à l’Historien comme à tout autre citoyen, d’un côté, et la manipulation de l’Histoire à des fins politiques partisanes circonstancielles de l’autre.

Un exemple d’Historien profondément engagé dans les luttes de son pays et qui n’a pas accepté de compromettre son intégrité scientifique au nom de cet engagement est donné par le regretté Mostefa Lacheraf; il a su reconstituer une Histoire de l’Algérie propre à donner aux Algériens le sens de la Nation, sans aller jusqu’à remplacer le néant historique dans lequel la nuit colonial avait plongé les Algériens par un mythe sans relation avec la réalité des faits historiques. On peut, évidemment, donner d’autres exemples d’Historiens restés fidèles à leur vu d’intégrité scientifique, tout en produisant une analyse historique confortant leur peuple dans ses engagements et ses luttes.

La manipulation de l’Histoire doit être distinguée de l’Histoire engagée qui garde, dans toutes les circonstances, sa validité historique car elle est fondée sur des faits historiques reconnus. La manipulation de l’Histoire est la tentative de refaire l’Histoire sans la rapporter à des faits historiques avérés par des preuves que tout un chacun peut vérifier s’il s’en donne la peine. Les trois techniques de distorsion de l’Histoire La distorsion de l’Histoire substitue une histoire fabriquée de bout en bout à une histoire réelle, et ce à des fins politiques ou idéologiques circonstancielles.

L’histoire manipulée constitue une négation de l’Histoire telle qu’elle apparaît à travers l’étude de faits avérés du passé. Le manipulateur de l’Histoire est indifférent aux évènements du passé en tant que tels, dans le sens où ce qui le motive à faire appel à eux est la volonté d’agir sur le présent, d’influer sur le comportement de ses concitoyens pour qu’ils répondent favorablement à des choix politiques qui confortent ses intérêts et ses options idéologiques, quelle qu’en soit la nature et la portée.

Il y a, en gros, trois techniques de distorsions de l’Histoire :

a) La négation de l’histoire ; le manipulateur refuse à ses concitoyens ou ceux qu’il domine, l’accès aux évènements du passé, en interdisant qu’ils en parlent, qu’ils fassent des recherches sur eux ; il s’agit pour lui, de détruire dans ses concitoyens toute dimension historique, pourtant indispensable à leur équilibre psychique, à leur intégration sociale comme à la conduite de leur vie quotidienne - car chacun porte en lui son histoire personnelle comme celle de son peuple, et l’une et l’autre sont indispensables pour donner un sens à sa vie- ; le manipulateur veut imposer à ses concitoyens ou ceux sous son contrôle l’idée que l’Histoire commence avec son accès au pouvoir, et que le passé n’a rien à leur apprendre qui leur soit utile pour s’orienter dans leur vie et lui donner un sens; leur adhésion à ses objectifs est suffisante pour cela !

b) La présentation d’une histoire tronquée des faits et évènements qui ne sont pas utiles au manipulateur parce qu’ils contredisent l’idéologie qu’il veut imposer à ses concitoyens ; il s’agit là de renforcer chez eux une vision unitaire destinée à enraciner le pouvoir exercé sur eux par un homme ou un groupe d’hommes au nom d’une idéologie qui justifie leur pouvoir et le rend indispensable ;

c) La fabrication, à travers les évènements du passé, d’une interprétation de l’histoire propre à justifier les choix politiques et idéologiques du présent ; ce type de manipulation est particulièrement subtil, car il se fonde sur des faits et des évènements réels, mais qui sont présentés sous un éclairage leur donnant un air de vérité absolue dans le cadre d’une interprétation tronquée ; l’idéologie coloniale raciste, sous toutes ses formes contemporaines ou anciennes, constitue un type particulièrement réussi de ce type de manipulation de l’Histoire : chacun des éléments qui composent le sous-bassement historique de l’idéologie est vrai en un sens ; mais c’est l’arrangement qui est faux car il donne une image déformée de l’Histoire telle que pourraient la reconstituer des Historiens objectifs au sens scientifique du terme.

Les distorsions de l’Histoire subies par le peuple algérien Quel type de distorsions de l’Histoire l’Algérie a-t-elle subie dans la période moderne ? D’abord la manipulation de type a) c’est-à-dire la négation totale de l’existence d’une histoire propre à l’Algérie ; c’est ce type de manipulation qui a été le favori de la période coloniale : Les Algériens, dans leur période de formation, se sont vus imposés la connaissance d’une histoire qui leur était étrangère ; et combien de jeunes enfants bronzés se sont-ils vus forcés d’apprendre par c_ur la première leçon du cours d’histoire d’Ernest Lavisse: «Nos ancêtres les Gaulois étaient blonds» Dans les livres d’histoire, pas un mot des évènements qu’avait connus notre pays dans le passé ! Tout tournait autour des faits et personnages historiques de la «Métropole.» Mais, la distance culturelle entre les Algériens et les colonisateurs était trop forte pour ne pas créer chez les jeunes «autochtones » un tant soit peu curieux le besoin d’en savoir plus sur leur pays.

Le système colonial n’était pas totalement fermé, dans le sens où il était obligé de tenir compte des principes de la démocratie libérale qui ne pouvaient être refusés à la population étrangère. Profitant de cette faille dans le système colonial, les Algériens purent accéder aux ouvrages d’histoire écrits par les auteurs sur l’Algérie, comme Stéphane Gsell, Ernest Mercier, les frères William et Georges Marçais, Félix Cat, Charles André Julien, Charles Robert Ageron,- décédé le 3 septembre et auquel le Quotidien d’Oran et d’autres publications nationales, comme des historiens de talent algériens et étrangers ont rendu un hommage largement mérité,-Pierre Nouschi, etc. dont chacun permettait, au-delà de ses choix idéologiques, de reconstituer l’histoire de l’Algérie avant la colonisation et pendant la période d’occupation.

Donc, même si les Algériens n’étaient pas libres de fixer le contexte géographique de leur histoire dans les institutions officielles, du moins avaient-ils la possibilité d’en prendre connaissance par la bande, en quelque sorte. Le système de manipulation de l’histoire mis en place par l’occupation coloniale n’était pas totalement hermétique ! Vint ensuite la manipulation de type b) paradoxalement de là où on l’attendait le moins ; la décolonisation, c’est, avant tout, la récupération par un peuple de son Histoire !

Or, la tournure des évènements à l’indépendance de notre pays fit que notre Histoire la plus contemporaine, c’est-à-dire la plus formatrice des générations arrivées à maturité, fut escamotée et remplacée par une histoire qui effaça le proche passé au profit d’un passé lointain ; les noms de tous les hommes politiques algériens qui avaient façonné notre histoire et avaient fourni le leadership nécessaire pour la naissance , au sens moderne du terme, de la Nation algérienne, furent systématiquement écartés de la mémoire des Algériens des générations montantes.

Au nom de la poursuite de la Révolution, même le jour auquel tant d’Algériens avaient rêvé et pour lequel ils avaient accepté jusqu’au sacrifice de leur vie,- à savoir le jour où l’indépendance de notre pays fut proclamé-, fut simplement escamoté ; à sa place on fêta la jeunesse, comme si l’objectif principal de la lutte de libération nationale était simplement d’avoir le droit de fêter les jeunes !

Les enfants et les adolescents scolarisés eurent droit à une bouillie incompréhensible faite de slogans au lieu d’un enseignement de l’histoire de la lutte de libération leur rappelant les sacrifices consentis par les générations précédentes. Ainsi, ce furent les « nationalistes » qui supprimèrent l’histoire du nationalisme algérien de la conscience des générations montantes.

On sait ce qu’il arrive dans ce genre de cas où l’on coupe tout un peuple de ses racines historiques et où on lui apprend qu’en dehors des évènements du passé lointain dans les environs du 7ième siècle, rien d’intéressant ne s’était passé ; la lutte de l’Emir Abdelkader fut minimisée. Mais ce furent les dirigeants du mouvement de libération nationale qui furent les plus grandes victimes de cette distorsion délibérée de l’Histoire de notre pays, non seulement Messali Hadj, et il n’y a rien d’étonnant à cela, mais également tous ceux qui ont joué un rôle clef dans l’accession de l’Algérie à l’indépendance, comme les membres du GPRA ou les responsables des différentes wilayas, à l’exception d’un seul.

Ne subsista, dans la logique de l’histoire contemporaine tronquée, que l’association des Oulemas et ses dirigeants Ibn Badis et Bachir el Ibrahimi représentant un volet culturel, certes important, mais non toutes les multiples facettes qu’a pris le mouvement de résistance à l’occupant colonial !

Les évènements douloureux vécus par notre pays, la violence sans borne ne sont-ils pas explicables par ce reniement du Nationalisme qui a caractérisé la manipulation de l’Histoire au temps du parti unique ? De plus, on força à l’exil tous ceux qui voulaient apporter leur contribution à l’écriture de l’histoire de la lutte de libération nationale ; ainsi, tous les ouvrages narrant cette lutte furent édités à l’étranger, rédigés par des Algériens et d’autres.

Il faut reconnaître que cette censure de l’histoire la plus contemporaine de notre pays fut menée avec grande efficacité, au point où beaucoup ne connurent le nom des grands hommes du nationalisme algérien qu’après les évènements d’octobre et au fur et à mesure du démantèlement du système totalitaire mis en place au nom de la «Révolution permanente.» Il est évident que la manipulation de type c) était de mise parmi certains historiens coloniaux, comme Emile Félix Gautier, auteur des « Siècles obscurs du Maghreb» et du fameux rapport sur « L’évolution de l’Algérie de 1830 à 1930. » Mais, après l’indépendance acquise, sa poursuite posait problème, car elle était trop complexe et exigeait une classe d’intellectuels, en nombre suffisant pour la prendre en charge, à condition qu’ils aient eu la motivation idéologique indispensable. A suivre

Synthèse de l'article - Equipe Algerie-Monde.com

D'apres Le Quotidien d'Oran. Par Mourad Benachenhou. Le 12 octobre 2008.

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