Algérie - Université algérienne : en attendant le milliard
L'Algérie post-indépendante a nourri des voeux généreux, certains sociologues à l'instar de Abdelkader Djeghloul diront démesurés, pour pallier les carences héritées de la longue nuit coloniale.
En effet, rares sont les Etats qui ont ni plus ni moins affiché leurs ambitions de garantir le travail pour tous, le logement pour tous, la santé pour tous et enfin l'enseignement pour tous, tout cela gratuitement, s'il vous plaît !
Démographie galopante aidant, l'Algérie ayant triplé le nombre de ses habitants en trois décades, fait rarissime dans les annales des statistiques mondiales, les pouvoirs publics ont pu réaliser toute l'ampleur du chantier et les défis qui en découlent pour finalement imputer cela, mais un peu plus tard, aux visions irréalistes d'un certain « socialisme de la mamelle » comme dirait Nourredine Boukrouh. Le travail, le logement, la santé et l'enseignement ont cessé d'être, loin des discours pompeux et lénifiants, un droit pour tout un chacun.
Un réajustement spectaculaire mais toutefois « pragmatique » et salutaire a été opéré sur le budget de l'Etat pour envoyer sans crier gare des pans entiers de la société dans la précarité la plus totale, et en éliminant, sans aucune forme de procès, la classe moyenne, vestige encombrant de l'ère de l'économie digérée, pardon !, dirigée.
Mais, voilà, l'Algérie, terre des miracles par excellence, ne va renier pour si peu ses engagements. Si la conjoncture internationale a ruiné la concrétisation de certains voeux pieux, il fallait coûte que coûte tenter de préserver l'image de marque de l'Etat en sauvant ce qui peut l'être.
Et c'est ainsi que durant les années les plus difficiles, l'enseignement, entre réformes coûteuses et méforme chronique, est resté bon an mal an, un des rares chantiers où l'Etat s'est engagé dans une véritable course contre le... ventre, démographie galopante oblige, pour ériger des milliers d'établissements scolaires à travers tout le territoire national et garantir ainsi une place pédagogique obligatoire pour les enfants dont l'âge varie entre 6 et 16 ans. Cet effort soutenu, louable en soi, n'allait pas sans créer d'énormes pressions au niveau de tous les paliers pour atteindre de plein fouet l'université algérienne.
Et pour cause. Le nombre de bacheliers ne cessait de grimper au fil des ans, et d'une moyenne régulière nationale de 17%, avec le record historique de 10% de l'année 1993, les détenteurs du fameux sésame pour l'université atteignent maintenant le chiffre astronomique de 53% ! Quel bond significatif pour le secteur éducatif version Benbouzid qui ne tarissait pas d'éloges sur les résultats concrets de ses réformes et dont le baccalauréat représentait le baromètre grandeur nature.
Décidément, l'impossible n'est pas algérien. Le ministre de l'Education nationale n'hésitait pas à prendre son bâton de pèlerin pour prêcher la bonne parole aux responsables des wilayas classées en queue de peloton dans les résultats du bac, des paroles assorties certes de menaces fermes pour les proviseurs de ces lycées, pour se hisser au diapason de la moyenne nationale.
Et, miracle, ces mêmes wilayas, sans que le vaillant ministre daigne présenter la recette, se métamorphosent, l'espace d'une année scolaire, pour s'accaparer les places d'honneur, à l'instar de la wilaya de Djelfa par exemple. Qu'il est loin le temps, en effet, où un ministre de l'Enseignement supérieur se plaignait dans le début des années quatre-vingt-dix du nombre trop élevé de bacheliers algériens et donnait en exemple nos voisins marocains et tunisiens avec une moyenne raisonnable de 11% de taux de réussite au bac.
Benbouzid en bon pédagogue et en fin didacticien appréciera.
Au marasme chronique de l'université algérienne allait s'ajouter la pression énorme générée par les réformes de Benbouzid et le nombre sans cesse croissant d'étudiants. Il n'est de secret pour personne que l'université algérienne a touché le fond durant les années de braise et c'est vraiment un miracle si ce lieu du savoir a pu continuer sa mission, pas du tout évidente, et lutter contre les obstacles de toute nature.
Les menaces des hordes barbares ennemies de la science et du savoir aux enseignants universitaires ont poussé beaucoup d'entre eux à plier bagage et à rejoindre des cieux plus cléments. Ceux qui, pour une raison ou une autre, ont préféré rester ont eu à affronter l'insécurité, certains au péril de leur vie, et comble de l'ironie la dégradation soutenue de leur pouvoir d'achat.
L'université entra de plain-pied dans une zone de turbulence d'où elle n'allait pas sortir et les grèves pour la satisfaction de revendications socioprofessionnelles se succédèrent à cadence régulière sans que cela aboutisse à la prise de conscience de la part des pouvoirs publics à l'urgence de résoudre les problèmes épineux qui entravent la mission de l'enseignant universitaire.
L'actuel ministre de l'Education nationale, alors ministre de l'Enseignement supérieur en 1996 n'a pas trouvé mieux pour « affronter » la longue grève décidée par le CNES que de déclarer qu'il était prêt à fermer l'université. Sans commentaire. La situation a-t-elle évolué depuis ? Naturellement, de mal en pis. Le CNES se débat encore timidement pour faire admettre la justesse de ses revendications.
Le système LMD présenté comme la solution radicale pour les maux de l'université algérienne commence à se généraliser sans qu'un débat profond et franc ne soit installé chez les intéressés, c'est-à-dire les enseignants universitaires, sur l'introduction de ce système dans une université qui n'a pas l'encadrement humain pour son application.
Et puis vint la réforme de Benbouzid qui a porté le coup de grâce au peu de crédit dont bénéficiait l'université algérienne et dont l'unique mission, sans se voiler la face et loin des satisfecit des politiciens de tout acabit, demeure la gestion du flux estudiantin.
Les enseignants universitaires font actuellement dans l'enseignement de masse et piétinent sans avoir d'ailleurs le choix les normes universelles qui régissent l'université. L'évaluation est devenue un véritable casse-tête. Avec le niveau très faible de la quasi-majorité des bacheliers, toutes filières confondues, c'est un secret de Polichinelle à l'université, l'enseignant se trouve désormais devant des questions existentielles : faut-il appliquer les normes strictes de l'évaluation, quitte à faire recaler 95% des étudiants, ou au contraire les faire passer en masse pour laisser place à d'autres ?
Comme la mésaventure de cet enseignant qui a recalé 200 étudiants dans une promotion et qui a été vertement tancé et menacé par son responsable hiérarchique parce que leur département ne peut pas se permettre le luxe de refaire l'année à des centaines d'étudiants au moment où des centaines de milliers de bacheliers sont attendus chaque année.
Qu'importe la coupe, pourvu qu'il y ait l'ivresse, disait un célèbre poète français.
Des responsables d'organisations estudiantines, et surtout ceux militants d'un parti politique, sont devenus de véritables parrains et menacent directement les enseignants dans l'accomplissement de leurs missions et ce pour des futilités : les absences, un exposé ou un TP raté ou tout simplement une question posée.
Certains délégués, de première année de surcroît, n'hésitent pas à critiquer ouvertement enseignants et programmes durant les réunions des comités pédagogiques. A chaque examen, des dizaines d'étudiants passent devant les conseils de discipline avec toujours des sanctions clémentes. Menaces verbales, insultes sont devenues monnaie courante chez des étudiants qui bouclent leur année en utilisant mille et un stratagèmes et vous demandent sans sourciller la date du prochain concours de magistère.
L'université algérienne vit, et sans euphémisme, un mal profond et si des solutions courageuses ne sont pas prises, des agressions contre le corps enseignant deviendront des faits divers. Et puisqu'on parle de chiffres, il faut noter que le nombre des étudiants algériens était de 1.000 en 1962.
Il aura fallu moins d'un demi-siècle pour qu'il atteigne le million aujourd'hui. Si cette cadence est maintenue, et là on fait largement confiance au ministre de l'Education nationale, la population estudiantine atteindra un milliard en 2053, c'est-à-dire demain. Beaucoup de pain sur la planche en perspective.
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* Universitaire
Synthèse de l'article - Equipe Algerie-Monde.com
D'apres Le Quotidien d'Oran. www.lequotidien-oran.com. Par Boudjella Nacer *. Le 23 octobre 2008.
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