Algérie - De l’épi et du pis
«Du pain et du lait, et que le Seigneur nous procure de la sérénité»
Maxime des humbles.
Notre pays a sommairement célébré la Journée internationale sur l’alimentation, dans un contexte dominé par des turbulences, d’ordre économique, dues à un système financier mondial décrépit qui n’a pas montré tous ses mauvais sous et dessous. Et ses impacts réels sur notre économie rentière. Pour le moment, on crie au secours! Au pétrole. Pourra-t-il, pour autant, nous garantir notre quiétude tout le temps.
Assurément non! Pourtant, nous insistons -aurions-nous d’autres choix à part ce «pis»?- pour qu’ils l’assurent. Ainsi, il est devenu le socle fondamental sur lequel sont basés tous nos réflexes d’approches dans le domaine économique et sur bien d’autres. Du pavlovien en puissance. Le sommet de l’intelligentsia gouvernante et ses consultants est le plus atteint par ce syndrome.
Une inhibition terrible. Il y a de quoi!
Au sujet de cette journée sur l’alimentation, elle a permis encore une fois de sensibiliser l’opinion publique nationale sur les enjeux et défis majeurs que doit affronter le secteur agro-rural toujours à la recherche d’une rénovation salutaire dans ce sens. Dont l’autosuffisance alimentaire en céréales et lait.
C’est aussi l’un des sujets abordés, lors de la rencontre tenue en début de semaine d’avant celle-ci, par les cadres dudit secteur avec leur ministre et ce, dans la foulée de la campagne «labours-semailles» s’annonçant prometteuse au regard des pluies diluviennes enregistrées, au cours de ce mois, suivies du Salon dit d’»El-Filaha» inauguré en milieu de cette semaine et qui durera jusqu’au 30, dans le même sillage de la dépendance alimentaire devenue, soudain, une hantise. Pourtant, depuis déjà dix ans de stratégie et les pétrodollars avec...!
Dans ce cadre, cette contribution va essayer d’esquisser les quelques lacunes sectorielles du passé et, en brièvetés, les nouvelles mesures prises par ledit département gouvernemental en voie de vulgarisation et d’application préliminaire oeuvrant, en principe, pour plus d’autosuffisance alimentaire basée, essentiellement, faut-il le souligner, sur l’épi des céréales et le pis du cheptel laitier. En effet, labourages et pâturages font les grandes nations affirment les agro-économistes.
DE L’OBSERVATION DES EPIS, PAR STATISTIQUE,
A CELLE DES EPIS DANS LA PRATIQUE
Les statistiques de fin d’année agricole 2006/2007, avaient fait ressortir des chiffres abracadabrants, tout en sachant que la notion statistique est synonyme d’aléatoire mais tout de même: 43 millions de quintaux ont été récoltés criait à tue-tête, le département concerné, alors que l’OAIC avait, après la fin de l’opération de collecte, fait savoir que seuls 12 millions de quintaux ont été engrangés, au niveau de ses silos.
Où sont-ils donc passés les 31 millions restants? Pas la moindre réponse, à ce jour, encore moins une explication convaincante d’autant plus que six mois après, des pénuries d’orge se sont propagées dans les marchés locaux se trouvant pourtant dans des zones céréalières, générant une hausse de prix dudit produit, aliment de base pour le bétail et, donc, une malnutrition avérée du cheptel ovin puisque il y a eu mortalité d’un nombre important de ces animaux dans la steppe, d’une part et que, d’autre part, il y a eu import de 150.000 quintaux d’orge afin d’assurer la survie des élevages nomades notamment dans l’Atlas saharien, a-t-on justifié.
Mais, alors, où sont passés les 31 millions de quintaux dont au moins le 1/3 serait composé d’orge? Soit 10 millions de quintaux! Tout en sachant, que quelle que soit la capacité des emmagasinages privés et les spéculations liées, c’est tout de même énorme. L’OAIC pourrait en juger...
Ainsi, il faut reconnaître, une fois pour toutes, qu’il serait imposteur, voire anti-économique de continuer à faire ce genre d’approche statistique basée sur l’à peu-prés et pour des motifs subjectifs, voire saugrenus mais que, de par la confusion régnante, au niveau de la profession céréalière où le clientélisme parasitaire bat et fait son plein -superficie élastique et rendement exagéré pour s’accorder des crédits entre autres prébendes obtenus ainsi par le mensonge-, c’est devenu dans la «normalité» des choses et entraînant, dans son sillage, une administration agricole envahie, donc, par tant de ...»papas noël». Le tout, pour peu de résultats en la matière.
La preuve par plus de 65% d’importation, entre autres produits alimentaires, de notre couscous, comme on dit. Et des dernières déclarations du ministre du secteur responsabilisant toute la sphère agro-économique.
Les dernières approches du département ministériel concerné, spécifiant les rôles de la profession et incluant chaque institution à partir de la commune -tout en craignant que celle-ci ne se faufile, déjà, dans les méandres des conflits d’intérêts locaux- jusqu’au haut niveau de l’édifice ainsi bâti sur des résultats ciblés en indicateurs inscrits dans des contrats de performance, représentent un signe encourageant.
A moins que certaines manoeuvres politiciennes en cours ne viennent les écorcher. Dont un système financier agricole, que des cercles attentistes veulent taillé sur mesure, au profit d’une clientèle paysanne qui a défiguré toute une stratégie agro-rurale décennale. Malgré quelques acquis discutables car aux antipodes de l’autosuffisance alimentaire.
Comme c’est une année test de cette nouvelle approche, ont précisé ses promoteurs, il serait pertinent d’y associer d’autres innovations et imaginations instaurant de nouvelles théories pertinentes et pratiques innovantes. Parmi elles, nous notons le renforcement des communes, voire d’un ensemble d’exploitations hiérarchisées, selon une typologie agro-pédo-climatique concluante, par de jeunes ingénieurs et techniciens dont on aurait, au préalable, formé pour deux objectifs principaux, à savoir: comment établir une carte mentale, profondément structurée en informations variées, parcelle par parcelle, et localisant rigoureusement les producteurs selon, faut-il le souligner, des seuls critères de productivité céréalière réelle, ainsi que de suivre le processus végétatif des céréales de la levée à l’épiaison, et finalisé par un sondage scrupuleux sur terrain anticipant les rendements.
C’est ça, en fait, le cheminement agronomique -du semis à l’épi- d’une statistique céréalière permettant de quantifier, au quintal prés, la production. Et d’avoir, ainsi, des éléments fiables sur nos potentialités céréalières. Afin de mieux fixer les perspectives!
En second lieu, il serait pertinent d’initier courageusement un débat, à tous les niveaux de la profession agricole, dans ses différents vecteurs y compris politico-économique, à un haut niveau de l’Etat, pour réfléchir sur la réorganisation de la profession agricole en général, prônant sans échappatoire aucune une dislocation progressive des schémas cadrés par les attentistes clani-clientélistes, au profit d’autres ressorts professionnels salvateurs, ainsi que sur une politique céréalière et fourragère, à moyen et long termes, en particulier.
Le tout lié aux données de la nouvelle loi d’orientation foncière, notamment liée aux terres dites «ârch» sur lesquelles on recense une importante sole céréalière irrigable par les eaux de crues, aussi bien dans l’Atlas saharien que dans une partie des versants sud du tellien.
Il est manifeste, depuis belle lurette, que les importantes terres en jachère se multiplient, sans aucun titre en terme de productivité, et s’allongent inconsidérément au niveau de toutes les isohyètes et, donc, c’est l’occasion ou jamais, et pour des impératifs justifiés d’ailleurs du fait de notre dépendance alimentaire menaçant notre devenir, de susciter un autre état d’esprit lié à l’effort collectif pour rentabiliser ces potentialités. Il suffirait de trouver la bonne formule arrangeant tout le monde.
La céréaliculture saharienne bien ciblée au plan agro-pedo-écologique, quoique l’on dise sur ses prétendues limites d’ordre naturel, reste une théorie à approfondir et une pratique prometteuse, si on sait démontrer ses multiples attraits qui pourraient être du même niveau que les champs pétrolifères, pour des complexes agro-industriels d’ici et d’ailleurs. Nous avons des expériences aussi bien anciennes que récentes, ici et ailleurs. Nous avons également, dans ces régions, beaucoup d’eau constituant vraisemblablement la grande partie de la nappe maghrébine, d’immenses lots de terres dont le sol est déstructuré en terme de cohésion texturale, certes, mais susceptibles d’être arables par «lopinage» bien ciblé en termes de prospection assidue des lieux favorables et fertilisation appropriée et durable.
Il existe, également, d’autres contraintes, notamment humaines, mais surmontables. Il suffirait de combiner tous les paramètres influents dans le bon sens. «Il n’y a pas de région sans avenir, mais de région sans projet» affirme, à juste titre, l’ancien/nouveau locataire dudit secteur. Et sans ambitions ajouterais-je. Une réflexion généreuse de taille, de sa part, partagée par beaucoup de gens. Et que, surtout, l’autosuffisance alimentaire l’exige qui, elle, ne se contente point de slogans creux, encore moins de publicités de mauvais goût car elles pourraient avoir l’effet contraire. Comme avant!
COMBINER AUSSI PIS ET ELEVEURS D’ESPRIT
D’après toujours les statistiques du secteur agricole, en la matière, souvent contredites par d’autres départements liés, notre cheptel laitier produirait 2 milliards de litres de lait cru/an, et que 1,2 milliard sont importés en poudre de lait pour combler nos besoins, a-t-on calculé..., alors que dans la réalité la majorité de la population, des villes et villages aussi bien du nord que du sud, s’alimente en sachets de lait issu de la poudre!
Et, donc, on a l’impression que c’est plutôt l’inverse, en terme de quantité étalée -l’autoconsommation en lait cru n’expliquant pas tout-, qui est proche de la réalité d’autant plus que 1 milliard de dollars d’importation «annuelle», en la matière, c’est toute une flotte de lait. Le calcul est tellement tentant. Passons, pour le moment!
Dans la même optique il paraît, d’après les chiffres maintes fois alignés, qui vont du simple au triple, que le cheptel bovin dépasse un million de têtes dont plus de 300.000 sont supposées être de vaches laitières! 700.000 c’est quoi alors? Qu’on ne nous dit surtout pas qu’une partie sont des vaches laitières «locales». Au fait, a-t-on seulement une idée sur ces chiffres ainsi déséquilibrés? En vérité, le problème de l’élevage laitier est tout autre que ces statistiques semées à tout vent, voire impertinentes.
En effet, il s’agirait, bel et bien, de la bonne conduite d’élevage dont essentiellement l’alimentaire. Et, bien évidemment, un réseau d’associations planificatrices, productrices, coopératrices, collectrices, transformatrices et distributrices de la marchandise. Le tout connecté, méthodiquement, et constituant ainsi ce qu’on appelle une filière lait digne de ce nom. Pour ce faire, il faut d’autres ressorts en la matière. Nécessairement!
A ce titre un cas concret illustre, on ne peut mieux, ce genre d’interdépendance et d’échange combinant efficacité et pertinence. Dans les années soixante, un éleveur bovin de notre patelin a vendu une vache à un éleveur inexpérimenté.
Quelques jours après, l’acheteur interpelle le vendeur et lui dit:
«Ton animal de vache ne produit que 10 litres par jour, alors que tu m’avais assuré qu’elle fournirait 14». L’éleveur, placidement, lui répondit «oui 14 litres, car vois-tu les 4 litres non fournis par la vache c’est moi qui les produisaient» Alors le nouveau vacher interloqué par cette boutade et, furieux, exige des explications. «Lorsqu’elle était chez moi, je lui donnais toute sa ration et même plus, je lui parlais au cours de la traite et donc j’étais son cinquième pis, en quelque sorte».
L’éleveur débutant avait compris!
«En 1965, à Médéa, on a eu le privilège de consulter un document poussiéreux établi par des ingénieurs en chef et des vétérinaires principaux. Ce travail porte sur un projet de création de véritables bassins laitiers intégrés dans 8 régions du pays: Bel-Abbés, Ghriss et Miliana à l’ouest, Béni-Slimane et la plaine des Arib (Aïn Bessem) au centre, la Soummam, El-Eulma et Guelma à l’est. Ces régions se situent dans l’isohyète de plus 500 mm/an.
Des possibilités d’eaux souterraines avérées. Des sols légers propices aux luzernières, tubercules fourragers et autres pâturages naturels. Des espèces bovines bien adaptées dans ces milieux (tarentaise, frisonne, montbéliarde et autres variétés locales aujourd’hui disparues). Le tout, en paramètres figuratifs, y compris des approches sur le mode d’accès aux terres et financement, par le biais de coopératives facilitatrices, organisatrices des productions, transformation et commercialisation. Ce projet date de 1952. Celui de Médéa, prévoyait même l’introduction viti-vinicole et agrumicole au profit des colons de la Mitidja, dont leurs sols sont devenus lourds et imperméables, sur un tiers de la superficie totale qui dépasse les 250.000 ha.
On parlait déjà, d’une deuxième Mitidja d’arrière-littoral algérois. Au total des 8 bassins, la superficie visée à être mise en valeur culmine les 800.000 ha. En irrigué, semi-irrigué et en sec.
Une surface jugée suffisante pour affourrager 220.000 têtes pour une production estimée à 3 millions litres/jour en moyenne, pour une population ne dépassant par 10 millions d’habitants, soit un grand bol de lait par personne.
Il convient d’ajouter qu’à cette période, les gens buvaient du lait (leben notamment, comme de l’eau). Notre beau pays en possède de véritables zones encore en friches, des moyens humains et financiers fournis. 2012 c’est tout juste le temps pour confirmer les dires de la FA0 -assurant que nous atteindrons l’autosuffisance alimentaire en cet horizon- L’embellie financière risque de s’amenuiser après 2012.».
Ce dernier horizon semble être tout proche que prévu. Cavalant!
C’est un extrait de notre article: «Des bassins laitiers est-ce possible sous nos climats?» paru au «Quotidien d’Oran» en date du... 29 mars 2007! Depuis, la production laitière du lait cru n’a cessé de régresser à cause d’un tas de contraintes non encore maîtrisées. La facture d’importation, en la matière, qui était de 600 millions de dollars environ en 2006/2007, s’élèvera cette année à plus de 1 milliard USD.
Et ce n’est pas dû seulement à la hausse, prévisible au demeurant, du prix de la poudre de lait.
Les lois du marché ainsi libéralisées, comme pour les céréales d’ailleurs, n’y sont pour rien car elles sont ainsi faites depuis belle lurette; en revanche, c’est la gouvernance dudit secteur dans son ensemble, menée à ce jour, qui est inconséquente, flasque et lourdaude!
La rénovation agro-rurale, dans tous ses segments, n’est plus seulement une affaire d’argent mais d’idées inscrites dans un programme mûrement élaboré, ne tenant compte que de l’intérêt général, en terme d’indépendance alimentaire synonyme de dignité d’un Etat, et non du bon désir d’un pouvoir, encore moins au profit de groupuscules liés.
Donc, c’est dans cet état d’esprit d’abord responsabilisé, en lui-même, et puis responsabilisant les autres, que tous les épis et pis foisonneront.
L’argent distribué, à la «Papa noël», a déjà montré -et de quelles façons!- ses limites car non conjugué intelligemment et honnêtement aux idées pertinentes prônant la rénovation profonde des états d’esprit des gens, avant celle des terroirs en terme de milieu physique.
Il est grand temps, voire urgent, pour le secteur de mettre un terme, aux improvisations ne menant qu’à des déboires et ce, par l’instauration d’un nouvel état d’esprit agro-rural ainsi affranchi des nasses attentistes locales d’une part et, d’autre part, d’instaurer également une ambiance de transparence, au niveau central, bannissant les tergiversations arrangeantes et autres mesures populistes ne menant qu’aux impasses désespérantes.
Espérons que nous aurons suffisamment, au moins, du pain et du lait aux horizons 2014 à 97% à l’image de la rente pétrolière, -pourquoi pas- obtenus par notre labeur et donc, avec la bénédiction de Dieu en plus: «Kseira oualbeina ouarabi ihanina» Est-ce possible ??
Synthèse de l'article - Equipe Algerie-Monde.com
D'apres le Quotidien d'Oran. www.lequotidien-oran.com. Par Ali Brahimi. Le 27 octobre 2008.
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