Algérie Monde

 

Algérie - Il y a 50 ans... les caméras de la liberté Une histoire par l'image qui reste à écrire

cinema algerien L'Algérie a vécu une longue et effroyable occupation coloniale qui s'est terminée par une atroce guerre qui a duré près de huit années. Ceci, tout un chacun le sait. Mais ce que beaucoup ignorent, c'est que cette guerre fut aussi une guerre d'images.

A l'occasion du cinquantième quatrième anniversaire du déclenchement de la lutte de libération nationale, il nous a semblé opportun de revisiter les premières images algériennes réalisées dans les maquis durant la révolution.

Ces images du passé nous interpellent, s'imposent à nous. Nous nous devons donc de les appréhender sous l'angle de leur « fonctionnalité » idéologico-politique.

Le cinéma était alors considéré comme une arme de combat et un moyen de lutte pour la liberté. Face à l'impressionnante armada militaire et à l'imposant dispositif propagandiste colonial, il était difficile de rivaliser.

Quasiment exclu des salles de spectacles, exclusivement réservées à la population européenne, et n'ayant aucune possibilité d'accès aux caméras, l'Algérien est demeuré longtemps le grand absent des écrans de son pays. Il a fallu attendre la fin des années 50 pour voir enfin quelques « Français-musulmans » intégrés à la télévision en tant que techniciens, tels Mustapha Gribi, Tahar Hanache, Mustapha Badie...

Pour le colonisateur, l'image était appréhendée comme une sorte de miroir à travers lequel il pouvait admirer son « oeuvre » en même temps qu'il l'élaborait. Affiches, cartes postales, illustrés et films avaient pour mission de valoriser et de glorifier l'oeuvre « civilisatrice » de la France et, en tant que tels, ils devenaient les symboles emblématiques de la colonisation.

Véritable matrice pourvoyeuse d'imaginaire, l'archive historique, cinématographique et audiovisuelle révèle aujourd'hui sa véritable nature. Les cinéastes, pour la plupart débarqués de France, se sont fait thuriféraires de «l'ordre» colonial. Interroger l'immense iconographie produite durant la période coloniale revient à s'interroger sur le rôle et la fonction des images en tant qu'outils de manipulation des consciences et de déstabilisation des esprits.

Il y a 50 ans, naissait le cinéma algérien

Ayant pris conscience du rôle fondamental des images en période de lutte et de résistance et soucieux de contrer la propagande coloniale, le Gouvernement provisoire (GPRA) décide, dès 1956, d'ouvrir un nouveau front : celui des images, pour prouver à la France et au monde entier que le peuple algérien était fermement décidé à sortir de la longue nuit coloniale qui s'était imposée à lui. Les caméras commencèrent à prendre le chemin des maquis.

Au sein de l'Etat-Major de l'ALN, des militants avisés de la trempe de M'hammed Yazid avaient très bien compris le poids des images produites et leur impact sur l'opinion internationale. Un service images, dirigé par Moussaoui Sadek, fut créé. Ils avait pour missions essentielles de fournir une aide logistique aux correspondants étrangers et d'organiser le travail des cinéastes qui commençaient à rejoindre les maquis, armés de caméras rudimentaires et de quelques bobines de pellicule.

Parmi ces pionniers, Djamel Eddine Chanderli, René Vautier, Farid Dandani, Pierre Clément, Yann et Olga Le Masson, S. Ludovic, Karl Gass, Jean Lodz, Hans Erich, Ganev (Bulgare), Cécile de Cujis, Pierre Chaulet, Serge Michel, Hanserich, Branko, Jacques Charby et d'autres volontaires débarquant de nombreux pays, prêts à risquer leur vie pour contrer la propagande coloniale.

René Vautier, qui en 1950 signait Afrique 50, le premier film «anticolonialiste», fut chargé par l'Etat-Major de l'ALN de mettre sur pied, avec Mohamed Guenez, la première « Ecole » de cinéma en zone V, dans la wilaya 1 du Nord constantinois. En plein champ de bataille, va naître, quasiment au forceps, le cinéma algérien.

Peuple en marche, Algérie en flammes, Une nation l'Algérie, Djazaïrouna, Les réfugiés, Les fusils de la liberté, Attaque sur El-Ouenza, Sakiet Sidi Youssef, Les infirmières de l'ALN, La voix du peuple, Yasmina, L'étudiant, J'ai 8 ans... étaient autant de jalons inscrivant à jamais l'histoire de notre lutte contre l'oppression et la tyrannie.

L'oeuvre marquante à inscrire en mémoire est Djazaïrouna (devenue, un peu plus tard La voix du peuple), un montage d'images d'archives, qui a beaucoup fait parler de lui à l'ONU, alors que la question algérienne était débattue. D'autres films vont porter la révolution à l'extérieur. Ces réalisations étaient pour la plupart des oeuvres collectives. La personnalisation et la sacralisation n'existaient pas encore...

Citons, entre autres, Allons z'enfants pour l'Algérie, La fuite de l'enfer, La fête de l'espoir, Gamila l'Algérienne de Youssef Chahine... Répondant à l'appel du Front, plusieurs jeunes techniciens (Ali Djenaoui, Mokdad, Y. Sahraoui...), ont rejoint le maquis pour témoigner, apporter leur savoir, laisser des traces et pérenniser des périodes de la lutte d'affirmation nationale.

La plupart ne sont malheureusement pas revenus. René Vautier, qui a failli subir le même sort qu'eux, leur rend un vibrant hommage dans son ouvrage très instructif. Cinéma et lutte de libération nationale : la caméra au cœur du combat « Filmer, c'est faire de la mémoire », écrivait à juste titre Chris Marker. Au lendemain de l'indépendance, les pionniers du cinéma algérien vont continuer à investir le passé encore proche.

Les nouvelles productions de l'Algérie indépendante vont répondre à des besoins et à des urgences. Pour la plupart, la thématique s'articulait autour de la glorification de la révolution et des moudjahidine, en soulignant la barbarie du colon, sa démence et ses horreurs. Leur objectif : porter à l'écran les faits les plus marquants de la guerre de libération et contribuer ainsi au travail de mémoire sur la période tragique que venait de vivre le pays.

Des dizaines de longs métrages et des centaines de courts métrages vont ainsi voir le jour. Citons Une si jeune paix, première fiction à traiter de l'enfance martyre. Jacques Charby voulait prolonger l'esprit des Damnés de la terre de Frantz Fanon et de l'Aube des damnés de Ahmed Rachedi.

Arrivèrent ensuite La nuit a peur du soleil de Mustapha Badie, Le vent des Aurès de Mohamed Lakhdar Hamina, Les spoliateurs de Lamine Merbah, El Khalidoune, L'Opium et le bâton, Patrouille à l'Est, Zone interdite d'Ahmed Lallem, Les hors-la-loi de Tewfiq Farès, Décembre de Lakhdar Hamina, etc.

La fin de la décennie soixante-dix fut assez prolifique. Deux films ont même créé l'événement : La bataille d'Alger de Pontecorvo et Chronique des années de braise (Palme d'Or au festival de Cannes 1975) de Lakhdar Hamina.

Quelques années après, de nouvelles thématiques virent le jour. Une nouvelle génération de réalisateurs fit irruption avec des oeuvres significatives qui stigmatisaient les féodaux, dénonçaient les collaborateurs, les exploiteurs du peuple et attaquaient la bureaucratie.

Avec talent et sérieux, furent réalisés Le charbonnier de Mohamed Bouamari, Noua d'Abdelaziz Tolbi, Sous le peuplier de Moussa Haddad, Les spoliateurs de Lamine Merbah, Les bonnes familles de Djaffar Damardji, La corde et Les chiens d'El-Hachemi Chérif, L'embouchure et Les paumés de Mohamed Chouikh, Gorine et Journal d'un jeune travailleur de Mohamed Ifticène, La guerre de libération de Farouk Beloufa, Sueur noire de Sid Ali Mazif.

De plus en plus, les cinéastes voulaient sortir de l'histoire filmique de la révolution pour aborder des «sujets» de société, raconter leurs propres histoires, leurs luttes, leurs espoirs et leurs malheurs.

Tahya ya Didou puis Omar Gatlato, films phares de cette période, ont fait dire à Guy Hennebelle qu'un «cinéma djidid» venait de naître. Ces nouvelles images qui accèdent aux écrans vont correspondre au désir d'affirmation d'une identité nouvelle. Mostefa Lacheraf se révoltait contre ce qu'il appelait un nationalisme anachronique qui détourne les gens des réalités nouvelles et du combat nécessaire en vue de transformer la société sur des bases concrètes en dehors de mythes inhibiteurs et des épopées sans lendemain.

Excepté dans C'était la guerre, réalisé en 1993, où Ahmed Rachedi évoquait, en filigrane, la violence interne du mouvement nationaliste (liquidations physiques dans les maquis), les scénarios évitaient de traiter des sujets qui fâchent, comme par exemple les figures anciennes du nationalisme algérien, Messali Hadj, Ferhat Abbas, Abane Ramdane, Amirouche, qui n'avaient pas droit de cité.

Tout comme Rachida Krim avec Sous les pieds des femmes, Okacha Touita a quand même osé, dans Les Sacrifiés, réalisé en 1982, montrer la condition misérable des immigrés algériens en France, et surtout les terribles règlements de compte entre militants du FLN et du MNA.

La véritable rupture avec l'unanimisme nationaliste qui régnait jusque-là, on la doit à d'autres films comme Les Folles années du twist (1985) de Mahmoud Zemmouri, où le spectateur découvre l'insouciance d'une jeunesse algérienne à la fin de guerre et les combattants de la «vingt-cinquième heure» qui s'apprêtent à rejoindre le camp des vainqueurs. Si la fin de la décennie soixante-dix fut assez prolifique, par la suite les choses vont se gâter.

La terrible tragédie qui secoue l'Algérie dans les années 1990 va interrompre les tournages de films en Algérie. En ce 44ème anniversaire du 1er Novembre, le constat n'est guère reluisant. Malgré les professions de foi et les déclarations d'intention maintes fois réitérées des responsables politiques, nous ne constatons aucun signe évident de renouvellement qui puisse permettre d'affirmer qu'il y a réhabilitation effective et durable du 7ème art en Algérie. Les archives filmiques, d'une valeur inestimable, qui participent à la connaissance de notre histoire, se trouvent dans un état déplorable. La plupart des films, célébrés au moment de leur sortie et diffusés par les festivals et ciné-clubs du monde, ont été non seulement oubliés et même écartés du fait des évolutions de l'histoire, mais en plus, les copies sont aujourd'hui introuvables, ou dans un état déplorable. Le parc national, un des plus importants d'Afrique et du Moyen-Orient, est en ruine. Quant aux films permettant d'élargir le champ de la réflexion historique et politique, ils sont non seulement rares mais en plus difficilement diffusables en raison de leur état. Cette non-accessibilité à notre mémoire audiovisuelle et cinématographique est un véritable drame pour le citoyen ordinaire et pour le chercheur, à l'heure où sous d'autres cieux les images du passé sont revivifiées et constituent un moyen de raffermissement des consciences et un outil pédagogique non négligeable.

Synthèse de l'article - Equipe Algerie-Monde.com

D'apres Le Quotidien d'Oran. www.lequotidien-oran.com. Par Mohamed Bensalah. Le 30 octobre 2008.

Actualité en Algérie

Toute l'actualite du moment

Forum Algérie Monde - Debats et discussions sur l'Algérie et sur le Monde.

 

 

 

 

 

 

 

Algerie-Monde.com © 2008 Tous Droits Réservés