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Algérie - De La recherche scientifique en Algérie

la recherche scientifique en Algerie Il ressort de l'analyse comparée que la recherche scientifique en Algérie demeure, tant du point de vue de la quantité que de la qualité, marquée au coin de la médiocrité. Elle est bien loin en effet de répondre aux exigences du développement social, culturel et économique du pays.

Les responsables successifs en charge de ce secteur stratégique n'ont toujours eu en vue que le côté quantitatif : nombre d'établissements d'enseignement et de recherche, nombre de salles de cours d'amphithéâtres, nombre de places pédagogiques et de lits, et enfin, du nombre de diplômés sortis des différentes filières.

Quant à la qualité, elle a toujours été le cadet de leur souci. Ce manque d'intérêt manifeste des officiels, envers l'enseignement et la recherche scientifique de qualité, explique l'absence de revues scientifiques de bonne facture. Ces supports indispensables d'articles scientifiques susceptibles d'être indexés sur le plan international font cruellement défaut.

Les revues de laboratoires rattachés aux départements et aux instituts des universités dont il est question plus haut rechignent en effet à accepter de publier l'article d'un chercheur n'appartenant pas à leur chapelle. Et lorsque l'on consent à le faire, il faut attendre plusieurs années avant que l'article ne paraisse.

D'abord, ces revues sortent de manière irrégulière, et toujours avec des retards énormes, ensuite, le dossier consacré par chaque revue est presque toujours préconçu en fonction des besoins et des attentes des «amis» et des membres du «clan» en hâte de présenter leurs thèses, et non en fonction des problématiques de recherche digne d'intérêt scientifique.

Il n'est donc pas étonnant si les publications scientifiques sont rares en Algérie, et lorsqu'elle se produisent dans ce type de revues confidentielles dominées par des coteries d'intérêts particuliers à caractère quasi mercantile, elles se confinent forcément dans l'anonymat le plus total.

Elles ne peuvent pas être reprises en leur état informe et ésotérique par l'index des citations scientifiques élargies (SCI-EXPENDED), ni par l'Institut de l'information scientifique, ni par les bases de données françaises PASCAL, ni américaine (ISI). Paradoxalement, ce sont quelques quotidiens nationaux d'information qui font office de « publications scientifiques » en ouvrant leur colonnes aux chercheurs désireux de faire connaître leur travaux ou leurs réflexions sur tel ou tel aspect de la recherche.

Ainsi, Le Quotidien d'Oran et El Watan constituent-ils souvent ce lieu de débats d'idées où, à côté des analyses politiques, il n'est pas rare de trouver des articles de qualité scientifique, signés par des plumes diverses. Souvent, ces articles publiés par des chercheurs sont bien plus lisibles et plus pertinents que ceux reproduits par leurs pairs dans les revues prétendument scientifiques de certains laboratoires universitaires.

Si l'Algérie dispose d'une infrastructure éducative importante, elle est cependant mal exploitée en raison liée autant à l'absence d'une vision stratégique claire de la recherche de la part des pouvoirs publics qu'à la négligence du facteur humain, qui se trouve sous employé. Ces facteurs, joints à bien d'autres, influent très négativement et sur le rendement et la qualité scientifique.

Ainsi, en 1997, les bases de données PASCAL et ISI s'accordent à faire apparaître l'Algérie au 7e rang africain avec 170 articles scientifiques recensés, contre 1.462 pour l'Afrique du Sud, 1. 190 pour l'Egypte, 475 pour le Maroc, 454 pour la Tunisie, 441 pour le Nigeria et 263 pour le Kenya. Elle est suivie de près par la Côte d'Ivoire avec 149 articles, le Cameroun et le Sénégal avec 135 articles chacun.

Les handicaps majeurs de la recherche en Algérie ne résident pas dans le manque de moyens et de compétences scientifiques potentielles. Il réside dans le contrôle et la bureaucratisation de la recherche et par l'autoritarisme de l'Etat, favorisé par la situation sécuritaire de la décennie noire.

Le résultat en est que la marginalisation des chercheurs et leur insécurité en a conduit beaucoup à se déployer vers des activités lucratives, y compris vers le trabendo, l'informel, ou encore vers la course effrénée pour l'obtention du maximum d'heures supplémentaires sous forme de TD et même de cours.

Aujourd'hui, une autre pratique non moins lucrative s'est développée au sein de certaines universités : les cours de rattrapage payants. Il en est donc bien des enseignants qui arrondissent leur fin de mois en faisant payer aux étudiants «retardataires» leurs prestation de service. Cette pratique, avec les heures supplémentaires dont les magisters, les maîtres assistants et les chargés de cours raffolent, tend à se généraliser au point de corrompre les esprits tout en les détournant de toute velléité pour la recherche, ce qui constitue en fait une menace sérieuse pour l'avenir de l'université.

Autres pratiques non moins préjudiciables à l'esprit scientifique, ce sont les «missions de recherche» purement fictives que certains hauts responsables de l'administration universitaire attribuent à leurs proches, souvent des alliés ou des protégés. Pour prix de leur allégeance au «grand chef», ces derniers sont gratifiés en retour sous forme d'ordre de mission fictive, de primes et d'avantage diverses. Ainsi des facteurs nombreux d'ordre politique, économique et sociologique complexes conjuguent leurs effets pour inhiber la recherche scientifique en Algérie. Cette recherche se trouve aujourd'hui quasiment au point mort.

En ce domaine, l'Algérie est en deçà même de certains pays d'Afrique noire en ce qui concerne les dépenses consacrées à la recherche : rapporté au PIB, le budget de la recherche n'est que 0,28 %, ce qui place l'Algérie en dessous de la moyenne africaine, qui est de 0,6 %. Une comparaison révélatrice de la condition faite à la recherche scientifique en Algérie est illustrée par les indemnités versés aux anciens moudjahid et qui représentent, dans le projet de loi de finances 2001, 2% du PIB. A l'inverse de beaucoup de pays africains et de ses voisins immédiats, l'Algérie est restée en retrait par rapport aux mutations fondamentales de cette dernière décennie.

Longtemps en tête des pays maghrébins en matière d'enseignement-formation, elle est actuellement le pays dont le système de recherche est le moins développé. Alors qu'elle a fourni le plus important effort d'industrialisation, l'Algérie est paradoxalement le pays qui a le moins fait pour développer les nouvelles technologies, comme les NTIC (Nouvelles technologies de l'information et de la communication).

On oublie que les NTIC sont de véritables outils d'accompagnement indispensable à la croissance en général et à la recherche scientifique en particulier. Cependant, si l'on considère maintenant l'envers du décor, c'est-à-dire si l'on examine de près l'aspect qualitatif en termes de formation, d'enseignement et de production scientifique, on s'aperçoit très vite que le résultat est bien médiocre au regard des efforts financiers consentis pour la mise en place de l'impressionnante infrastructure éducative.

A l'image de l'université, dont le contenu de l'enseignement et les méthodes pédagogiques relèvent des méthodes scolastiques, de la répétition, du remplissage et du plagiat, la recherche scientifique souffre également de multiples carences.

La production scientifique, quand elle existe, reste quantitativement faible et qualitativement médiocre. Dans les sciences sociales, les enquêtes de «terrain» sont rares et entrent peu dans les préoccupations des chercheurs, lesquels préfèrent le plus souvent réciter «les théories» produites ailleurs et compiler les ouvrages «classiques» plutôt que de s'adonner à des études empiriques axées sur les problèmes de société. Dans le domaine des sciences dites exactes ou appliquées, la situation n'est guère meilleure.

Pourtant, le nombre d'infrastructures de recherche n'est pas négligeable, comme en témoignent les dénominations de centres créés à cet effet. C'est dire que la recherche est constituée essentiellement de centres nationaux dépendant du Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique (MESRS). Ces centres sont au nombre de dix auxquels s'ajoutent deux unités de recherche. Au regard des moyens humains et matériels dont elles disposent, ces structures de recherche ne semblent pas répondre aux attentes escomptées dans la mesure où elles ne fonctionnent que bien en deçà de leurs capacités réelles.

Les raisons de la faiblesse de leur production, et par conséquent, du peu de visibilité de leurs réalisations, tiennent à une foule de causes dont les principales résident dans les fréquents changements de tutelle (six changements intervenus durant la décennie 1990), mais aussi dans l'organisation, les appellations et les missions conviées à ces structures de recherche publique.

Au changement de tutelle, d'orientation et de missions, s'est ajoutée « la déstabilisation » des équipes de recherche, ce qui a eu pour effet l'inachèvement ou la mise en sommeil des projets initialement entrepris. Alors que la période de maturation nécessaire d'un projet de recherche ne s'est pas entièrement accomplie que des changements brusques se sont déjà produits en amont et en aval des centres de recherche publique.

Ces facteurs, d'ordre politique autant que structurel, ont eu pour conséquence fâcheuse, dénoncée d'ailleurs par les syndicats des chercheurs permanents, de « déstabiliser le secteur de la recherche dans ses trois niveaux : structures d'orientation et d'exécution, accumulation d'expérience et de savoir-faire et capitalisation des ressources humaines ».

Aussi bien quantitativement que qualitativement, la recherche scientifique reste, comme le contenu de l'enseignement dans le supérieur, marquée par de multiples faiblesses et retards, dont la plupart tiennent aux orientations idéologiques imprimées par les pouvoirs publics à ce secteur vital, et en particulier à la conception bureaucratique de ceux qui ont la charge de gérer et de promouvoir la recherche sous ses multiples rapports.

Autrement dit, l'université et la recherche doivent être gérés suivant cette conception bureaucratique, souvent étroite et aux perspectives à courte vue, selon des préoccupations politiques de contrôle, d'imposition, et d'injonctions, non d'après les principes d'autonomie du champ de la recherche et du chercheur par rapport au champ politique.

Une telle conception qui craint « les vagues », les contestations et les initiatives individuelles et collectives en matière d'innovation, ne saurait s'accommoder d'une recherche libre, imaginative et entreprenante.

A s'en tenir à cette logique monopolistique, ce n'est pas le collectif des chercheurs qui doit dire comment conduire la recherche et la promouvoir, mais ce sont les bureaucrates, détenteurs ou non de « magisters », qui doivent définir les critères, les méthodes et même le contenu de la recherche selon les réquisits «idéologiques».

Quoique le discours politique et institutionnel exalte les vertus de la science et fasse mine de la promouvoir, celle-ci demeure pourtant entravée dans son évolution tant quantitative que qualitative par des mécanismes bureaucratiques qui renvoient presque tous au choix des hommes et aux jeux de cooptation des responsables à la tête des institutions centrales et locales chargées du secteur de l'enseignement et de la recherche.

Choisis plus en fonction de leur allégeance envers tel ou tel réseau de «pouvoir» ou de «clan» que par rapport à des critères de compétence avérée, ils tiennent plus à conserver leur postes et à s'élever dans la hiérarchie politico-administrative qu'à s'occuper réellement de la promotion de la recherche, très vite oubliée et reléguée au profit de la conservation coûte que coûte de leur situation de rente. Qui dit recherche, dit projets d'études conduits par des équipes; publications de qualité; études monographiques; enquêtes de terrain sur des sujets sociaux, culturels, anthropologiques, etc.

Or de telles recherches sont rares, et quand elles existent, elles aboutissent souvent à des résultats fort médiocres. Or, les données chiffrées disponibles, et surtout l'observation des pratiques au sein de l'université algérienne dont nous sommes familiers, montrent que la tendance dominante est au marasme, et celui-ci se traduit par la stérilité en matière de production de la plupart des enseignants dont les préoccupations essentielles tournent soit autour de la promotion interne (en grade ou en responsabilité administrative), soit en augmentation de salaires, soit autour de la course en vue d'avantages matériels (stages de formation à l'étranger, obtention d'heures supplémentaires...).

La compétition entre la quasi-totalité des enseignants ne porte jamais sur des enjeux scientifiques ou sociétaux, mais sur des enjeux matériels, de prestige et de pouvoir. C'est à qui réussira le mieux à faire son ascension professionnelle ou sociale. Si le diplôme jouit d'un grand prestige social, c'est souvent en fonction de sa valeur «marchande» et ce qu'il rapporte en termes de «bénéfices» ou de «gains».

D'où s'explique l'intérêt accordé au diplôme de doctorats, dont certains mettent près d'une dizaine d'années, voire plus pour l'obtenir. L'engouement pour le diplôme de magister, et les conditions dans lesquelles ce diplôme est obtenu (par sacrifice personnel ou par le jeu d'allégeance au prix de certaines servitudes et humiliations consenties...), expliquent le peu de temps, d'énergie et de motivations qui restent pour les consacrer à la recherche désintéressée.

A ces préoccupations qui absorbent l'essentiel de l'activité cérébrale de l'enseignant, s'ajoutent les querelles de chapelles et de coteries, les rivalités de personnes, sans parler de l'environnement de l'université qui s'avère fort peu propice à la recherche (absence de bureaux, même collectif, d'ordinateurs, d'Internet, de téléphone et de fax...), tous facteurs qui achèvent d'ôter toute motivation pour la réflexion, la recherche ou les publications.

S'il existe des chercheurs de grande qualité en Algérie, motivés et imaginatifs, il n'existe cependant pas de revues scientifiques dignes de ce nom. Hormis quelques-unes, comme la revue Inssaniyyât, et Naqd, laquelle survit tant bien que mal grâce à la pugnacité de son directeur, Daho Derbal, le reste se réduit à des publications quasi confidentielles, généralement éditées par certains Laboratoires rattachés aux grandes universités (Alger, Oran, Constantine...).

Sans les citer, ces revues de Laboratoires fonctionnent sur le mode du clientélisme : on publie d'abord, et souvent exclusivement, les articles des «copains» ou de clients pour leur permettre de soutenir leurs thèses, car il est exigé par les commissions scientifiques de produire un article sur le sujet de thèse pour que celle-ci puisse être acceptée en soutenance.

Dirigées par des directeurs de Laboratoire, et dotées de comité scientifique et de rédaction, ces revues sont souvent patronnées par le Recteur de l'université dont le nom rehausserait le prestige et la qualité scientifique de la publication, dès lors même que le contenu des articles qui s'y déploient s'avèrent prolixes ou indigents.

Le remplissage et les démonstrations «théoriques» relevant de la compilation y tiennent une place importante, tandis que la part de l'analyse critique de l'auteur est comme dissoute dans un discours fait soit de galimatias, soit d'autojustification relatives aux manques de «données», soit encore de prétention affichée à la profondeur «scientifique» de son exposé.

Tel est schématiquement résumé le contenu de ce genre de revues, dont la forme même souffre de «correction» de style, car truffée par endroits de fautes d'orthographe et de syntaxe aussi bien en français qu'en arabe... Mais les articles qui s'y publient seront versés dans le dossier de thèses à soutenir et donneront lieu à un rapport flamboyant du rapporteur en faveur de l'impétrant. On mesure, à partir de cette situation observée de visu, l'état de la recherche en Algérie. Dire qu'elle n'est guère réjouissante, ne relève point de l'exagération.

Des données empiriques observées, passons maintenant au classement de l'université algérienne au plan international. En conclusion, le devenir de l'enseignement et de la recherche scientifique demeure lourdement hypothéqué par le politique, qui entend tout gérer, en lieu et place des intéressés.

Ceux-ci ne sont pas considérés comme des acteurs essentiels ou des partenaires qu'on devrait associer ou consulter sur les orientations imprimées à la recherche, mais comme des agents dont la mission est d'exécuter sans broncher les «recommandations» de la tutelle. C'est par le biais des recommandations, des circulaires, des notes ministérielles et par des injonctions transmises par «fax» aux différents chefs d'établissements que sont gérés l'enseignement et la recherche en Algérie.

L'adoption du LMD, véritable plagiat du modèle français, résulte de cette posture autoritaire et bureaucratique, qui ne relève pas de la pure caricature, mais d'une pratique courante que nul ne peut démentir. Si les secteurs de l'Education et de l'Enseignement supérieur sont bel et bien sinistrés, cela tient essentiellement à une vision purement administrative et bureaucratique de la chose scientifique.

Tels sont les traits de comportements qui président au destin de l'université algérienne, et par ricochet, sur celui de la recherche tout court.

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** Universitaire et chercheur, dernier ouvrage paru : Les enfants illégitimes de la République. Les beurs et les figures emblématiques de l'action humanitaire, Paris, Maisonneuve & Larose, 2004. Ouvrage à paraître : Le management. Etudes à l'usage de l'entreprise. Cf. interview du ministre algérien des Finances à El Watan du 24 octobre 2000.

Ces centre sont, entre autres, les suivants : CDER (Le Centre de développement des énergies renouvelables) ; CDTA (Le centre de développement des technologies avancées) ; CREM (Le centre de recherche et d'études minières) ; CRACS (Le centre de recherche en contrôle de soudage) ; CREAD (Le centre de recherche en économie appliquée pour le développement) ; CERIST (Le Centre de recherche sur l'information scientifique et technique) ; CRASC (Le Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle).

Cf. « Lettre ouverte au président de la République » par le Syndicat national des chercheurs permanents, 29 juin 1995, reproduite dans les Echos de la Recherche, revue éditée par le SNCP N°1, juillet 1995.

Synthèse de l'article - Equipe Algerie-Monde.com

D'apres Le Quotidien d'Oran. www.lequotidien-oran.com. Par Ahmed Rouadjia *. Le 30 octobre 2008.

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