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Algérie - Vive la crise ?

vive la crise Dans un article de presse relatant la récente réunion ministérielle (ministres des Affaires étrangères) des membres de l’UPM à Marseille, on mettait l’accent sur les inquiétudes quant à l’avenir de ce projet, qui serait aujourd’hui menacé dans ses ambitions par la crise du système financier.

On aurait en commentaire écrit : «Vive la crise» ! Est-ce une cynique provocation au moment où, partout dans le monde, des grandes inquiétudes et des grandes peurs se manifestent légitimement devant ces menaces pour le devenir économique et social de l’humanité ?

Inquiétudes qui suscitent tant de rencontres internationales au sommet convoquées dans l’urgence - la prochaine de ces rencontres au Sommet celle du G 20 étant fixée au 15 novembre à Washington - pour tenter d’éteindre ces incendies provoqués par cette crise financière, c’est-à-dire des collapses boursiers entraînant des faillites bancaires en cascade, et surtout des grippages dans le financement courant des entreprises, dans le fonctionnement normal des banques, ce qui a déjà et qui va toucher l’économie réelle, sans doute profondément, sans doute durant de longues années.

Ce qui, pour les plus pauvres de la planète, la majorité, va encore aggraver les possibilités de satisfaire des besoins de base aussi essentiels que l’alimentation et l’emploi. Il convient certes de faire face au plus urgent, mais il faut souhaiter aussi que cette formidable secousse soit utile pour rechercher les causes profondes de ce désastre. C’est en ce sens qu’il faut comprendre : ce « Vive la crise ! ».

Il faut souhaiter que notamment, cette réunion du G20 puisse aussi aborder la question qui concerne, non pas seulement les riches (G8) ou ceux qui commencent à prendre le chemin de la prospérité, que ce G 20 ne s’arrête pas seulement à sauver le système financier international, ou à en reconfigurer un autre ; mais qu’il aborde la seule question qui vaille pour nous les plus pauvres de la planète, la majorité des peuples : celle du développement.

Cette question du Développement qui a été tellement occultée ces dernières décennies par la « financiarisation » de l’économie mondiale et les mirages qu’elle a entretenus. Cette crise financière apparue au grand jour en 2008 a en effet des racines plus lointaines, depuis que la mondialisation de l’économie internationale se caractérise surtout par ce qu’on a appelé la « financiarisation ». A notre point de vue, cette « financiarisation » fait que la mondialisation a conduit à façonner une mondialisation bien bancale.

Elle s’est traduite par une déviance du libéralisme économique ou du néo-libéralisme économique concept sous jacent à la « mondialisation ». Il convient de rappeler en effet, que le modèle du libéralisme vise par définition à faire sauter toutes les entraves au « libre-échange », c’est-à-dire assurer la libre circulation aux (4) quatre « facteurs de production » : les capitaux financiers, les marchandises, les services, la main-d’oeuvre.

Ce modèle est présenté comme devant assurer la prospérité pour tous, s’appuyant sur la libre concurrence et la compétition (loyale) entre tous les acteurs de l’économie, le marché sanctionnant le meilleur de ces compétiteurs. Comment ne pas adhérer à ce modèle ainsi formulé : qui promet que le meilleur gagne !

Or, depuis deux décennies, on a assisté à une très forte dérégulation qui concerne les capitaux financiers, à un degré beaucoup plus faible on a enregistré une plus grande circulation des marchandises (laquelle se heurte néanmoins aux protectionnismes d’économies parmi les plus puissantes comme les avatars des négociations au sein de l’OMC l’illustrent parfaitement, voir les reports répétés des cycles de négociations dit de ‘Doha’).

Cette libération des entraves a concerné beaucoup moins encore les services (le progrès des techniques est jalousement gardé, la diffusion des technologies manquent beaucoup de fluidité), pendant qu’on assiste à l’inverse à des renforcements des contrôles des migrants économiques, au lieu de la libre circulation des hommes. La mondialisation a ainsi progressé d’une façon bancale.

Il est inévitable qu’elle trébuche ! Citons un aspect de cette « financiarisation » excessive de l’économie internationale et de sa déviance par rapport au modèle originel : la dérégulation qui a donc surtout concerner les capitaux financiers a fait que 70 % de l’épargne mondiale, (pas moins !), l’épargne dégagée par le travail de tous les pays riches ou pauvres de la planète, est drainée vers la puissance économique no 1, l’économie US, (au travers essentiellement des bons du trésor public américain mais aussi au travers des placements boursiers), au détriment d’une meilleure répartition de ce moyen de développement.

Ces mouvements de capitaux sont allés en général vers les zones déjà prospères (par autre exemple, les IDE, investissements directs des entreprises, se placent surtout dans les pays déjà développés suivant le vieil adage ‘l’argent va à l’argent’), alors que dans le même temps, des barrières tant physiques (par exemple le mur entre le Mexique et les USA, par exemple les barbelés qui entourent l’enclave européenne en Afrique, Melilla) autant que des politiques et des réglementations tentent de bloquer des migrants économiques.

Des migrants cherchant à joindre précisément ces zones de prospérité qui attirent la plus grosse partie de l’épargne mondialisée. On traque ainsi ces femmes ou ces hommes en les assimilant à des délinquants, alors qu’ils cherchent seulement à fuir les zones dévitalisées, juste pour leur survie. A noter d’ailleurs, que l’on s’y trompe pas, ce phénomène des migrants économiques sud-nord, très stigmatisé par des vendeurs de peurs, par des fantasmes, est loin de l’image de l’envahissement du Nord par le Sud.

Il est pour l’instant, quantitativement faible (juste pour le moment 3 % de la population mondiale sont des migrants quel que soit leur pays de destination nord ou du sud de la planète). Par contre, si les conditions actuelles de notre mauvais ‘management’ de la planète persistent, ce phénomène prendra de l’ampleur, inévitablement. Surtout si le réchauffement de la planète s’accentue. A ces migrants économiques classiques, fuyant des zones économiques déprimées, viendront s’ajouter en masse les migrations victimes de la désertification ou de la remontée des mers et des océans, ce qu’on nomme les « réfugiés de l’environnement ».

Pour terminer cette parenthèse sur les migrants internationaux, le Commissaire européen du Développement et de l’aide humanitaire, pour illustrer ce fantasme de l’envahissement du Nord par le Sud présent dans des secteurs de l’opinion publique européenne, rappelait très récemment le cas d’un pays parmi les plus pauvres du monde, le Mali. Avec une population totale de 12 millions d’habitants, 4,5 millions de Maliens ont émigré, mais ces émigrés maliens se sont établis surtout dans les pays limitrophes.

Ce sont seulement 200.000 Maliens qui ont émigré en Europe. Les migrations internationales qui sont un phénomène aussi vieux que le monde, pas plus intenses que dans le passé, sont donc surtout pour l’instant des migrations d’orientation sud-sud (le plus souvent d’ailleurs à l’origine provoquées par les guerres). La deuxième grande caractéristique de cette « financiarisation » est qu’elle a abouti par approches successives, ces dernières décennies, à des déconnexions de plus en plus grandes de la réalité économique et sociale. Beaucoup a été dit et écrit sur la crise actuelle pour qu’il soit bien utile d’y revenir.

Retenons seulement que maintenant que les masques sont tombés, tout le monde (ou à peu près) reconnaît aujourd’hui que la spéculation pure et simple, c’est-à-dire comme l’écrivait déjà Keynes, « l’économie casino » fondée sur des bluffs de joueurs, a trop envahi l’économie boursière.

Mais plus grave, elle a également pris trop de place dans le fonctionnement des banques, à cause de la recherche effrénée des profits financiers de plus en plus détachés des performances économiques. Ce qui incitait le système bancaire à délaisser un peu leur fonction normale de financement de l’économie réelle et de son développement.

C’est ainsi pour illustrer ce propos que pendant longtemps, ces dernières années, une norme de profit invraisemblable de 15 % de ‘retour sur investissement’, tiré d’un chapeau de fantasmes, était considérée comme une performance « normale » à atteindre coûte que coûte pour rémunérer des actionnaires.

Or, quelles sont les unités économiques dans le monde qui peuvent, sur une période à moyen terme, réaliser de tels profits ? Le plus grave, pour nous les plus fragiles de la planète, est que cette période a été encore plus dévastatrice en créant un climat découlant de ces enrichissements faramineux et ultra rapides au profit d’une toute petite minorité.

On a ainsi fini par confondre le libéralisme économique avec la rapine, à l’instar de groupes bancaires détournant de l’argent public sur une grande échelle qui se sont produits en Algérie, il n’y a pas si longtemps encore. C’est vrai que l’exemple de ces escroqueries venait des plus puissants de la planète. Par illustration, rappelons ce courtier en énergie, ‘Enron’, qui a réussi à faire passer, avec la complicité de comptables virtuoses, des pertes pour des profits ; pas pour des broutilles mais pour l’équivalent des PIB de tout le continent africain !

Ces pratiques et ce climat créés par les mirages de cette « financiarisation » ont des impacts profonds, notamment sur les comportements des jeunes générations qui ne veulent pas croire que le travail est seule source de richesses (Ibn Khaldoun), mais plutôt à assimiler à un conte pour enfants, ou à raconter aux novices comme dit le proverbe de chez nous. Vive la crise !

Si effectivement on sait tirer les leçons de ces deux dernières décennies et qu’on reprenne à bras le corps la problématique du Développement. Le lancement de l’UPM peut offrir cette opportunité, dans la mesure où les deux aspects saillants de ce Projet sont respectés.

Il s’agit selon ses propres initiateurs (voir notre article au Quotidien d’Oran du 14 juillet 2008) : d’un cadre de partenariat nouveau dans la mesure où la mise en oeuvre de projets élaborés en commun entre le Sud et le Nord dans le cadre de l’UPM et initiés à partir de l’engagement des Etats, et non pas seulement laissés « au libre jeu des forces du marché ».

A la condition aussi, c’est évident, que le préalable des préalables soit levé, c’est-à-dire l’établissement d’une paix durable en Méditerranée qui passe impérativement par la satisfaction du droit du peuple palestinien à une terre et à un Etat viables. Alors, la question du financement qui semble poser problème dans la phase actuelle de la crise pourra aisément trouver sa solution, pour peu que nous ayons de bons projets.

Il ne faut plus inverser les choses ! Ce sont les bons projets, ceux qui pourront constituer les bases d’économies méditerranéennes nouvelles, c’est-à-dire des économies socialement performantes : capables d’engendrer des emplois qualifiés à la hauteur des immenses besoins des nouvelles générations, et des projets de ce qu’il est convenu d’appeler l’économie verte respectueuse des équilibres naturels, projets qui, de par leur qualité même, créeront les garanties de leur financement. Il faut en conséquence s’atteler sans attendre la sortie du tunnel (la crise financière) à travailler pour la constitution de ces bons projets.

Celui de la dépollution de la Mer Commune devenue « une grande poubelle » est susceptible d’en être un parce qu’il pourra engendrer dans chaque pays une myriade de projets. Nous avons également cité pour l’Algérie et ses voisins celui du « barrage vert ». On peut également mentionner un autre ancien projet qui s’inscrirait aujourd’hui parfaitement dans cette nouvelle économie verte : la « Rénovation rurale » qui, selon d’anciens calculs (à actualiser), pourrait multiplier par 3 la production agricole du pays et par 6 l’agriculture en sec.

Ce projet pourra relever un des plus grands défis auquel est confronté l’Algérie comme beaucoup de pays du Sud : celui de la souveraineté alimentaire. La valorisation de la ressource humaine constitue un chantier immense pour la constitution de ce portefeuille de projets préparant la future économie, qui sera à n’en plus douter une économie de la connaissance.

A la condition que les formateurs et les entrepreneurs mobilisés dans un même combat travaillent de concert pour que les universités méditerranéennes cessent d’être des machines à fabriquer des « chômeurs diplômés ». Tout banquier saura toujours trouver les ressources pour financer un bon projet, sinon ce n’est pas un banquier. En espérant qu’après tant d’années d’errements dominés par « l’économie casino », les prochaines réunions internationales fassent qu’on revient juste à ce bon sens.

* Consultant en économie du développement.

Synthèse de l'article - Equipe Algerie-Monde.com

D'apres Le Quotidien d'Oran. www.lequotidien-oran.com. Par Mahmoud Ourabah *. Le 10 Novembre 2008.

 

 

 

 

 

 

 

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