Algérie - Messali Hadj est le plus victime des héros
1re partie
Tandis que la matrone, plus détendue, tend ses mains en réponse à chaque poussée, les proches s’agitent mais sans bouger, prêtes à saisir le nouveau-né.
Les femmes épient ses moindres gestes.
Lors d’une flexion plus soutenue, elles ont flairé l’étape ultime. Enfin le voilà, le fruit de tant d’impatience.
Si ces dames avaient prêté attention au cours de cet instant chargé d’émotions, elles auraient décodé un appel pour l’indépendance plutôt qu’un pleur.
Son père l’appellera Hadj, comme si son pèlerinage a été déjà accompli. Le soir même, il invite le cheikh du quartier pour qu’il fredonne à ses oreilles le rituel appel à la prière « Allah ou Akbar... ». Messali Hadj va évoluer dans un quartier qui n’est qu’un échantillon de la cité, où se déroule une agitation politique incessante. Cette activité a besoin d’une mobilisation pour parvenir à sa maturité.
Cet environnement va façonner la personnalité et l’avenir de cet enfant. Dès six ans, il est inscrit à l’instar de tous les enfants de son âge, auprès de l’école coranique de « Sidi El-Ouazzane » située dans son quartier « Rhiba », un des quartiers qui va recevoir les émigrés andalous chassés par la reconquista espagnole au XVè siècle.
En 1908, une annexe de la zaouia chadoulia derkaouia du cheikh spirituel Mokadem El-Habri El-Hassani, originaire de Béni-Znassen, vient d’ouvrir ses portes au niveau de ce quartier. La direction spirituelle de cette institution est confiée au cheikh Mohamed Yellès Chaouch plus connu sous le nom de Cheikh Benyelles. Hadj ou Hadji a à peine dix ans lorsque son père vient le confier au cheikh vénéré.
Notre écolier est émerveillé par l’érudition de son maître.
La loi de 1910, décrétant la mobilisation militaire vient surprendre la quiétude promise par la France aux indigènes. Les chefs religieux Cheikh Benyelles et le muphti Chalabi de la grande mosquée s’en prennent à cette décision unilatérale, drastique et entreprennent une série de prêches incendiaires à partir des zoui et des mosquées. Ils déclarent la tenue militaire française apostasie. La cité antique est en ébullition. La population ne parle plus que de la trahison de la France, à la transgression du traité de reddition de l’Emir Abdelkader signé avec le maréchal Bugeaud, qui stipulait la non incorporation des indigènes au service militaire.
Le cheikh Benyelles est exilé en Syrie, une grande partie de la population le suit dans ce pays devenu terre d’exil pour les Algériens. Hadji à cette époque a quatorze ans. Il prend conscience des décisions arbitraires qui affectent l’indigène et rumine certainement des pensées de révolte. Profondément attristé par le départ forcé de son Cheikh, il continue néanmoins à suivre les cours dans la zaouia, sous la direction du Cheikh Benaouada Borsali, neveu et ancien élève du Cheikh Benyelles. Le père Messali, agriculteur, propriétaire d’un petit lopin de terre, plie sous le poids des charges. Il demande à son fils d’arrêter les cours et le place comme garçon de course chez ses oncles les Hadj Eddine.
Au cours des livraisons qu’il doit effectuer auprès des clients à leur domicile, il se met, chemin faisant, sur un sac de farine et fustige le colonialisme à l’intention des quelques curieux qui veulent bien l’écouter et qui s’arrêtent rapidement, juste le temps de ne pas se faire remarquer par les agents de police car on s’en doute, c’était strictement interdit. A cet âge, il fait preuve d’une éloquence simple et directe tant en français qu’en arabe
Messali Hadj va vite se faire remarquer par l’administration coloniale, il sera condamné pour « tapage nocturne sur la voie publique ». il est confronté pour la première fois au régime répressif et à la prison.
Après sa libération, il continue en agrandissant ses lieux de prêche à fustiger, le code de l’indigénat, les conditions infamantes de vie de ses coreligionnaires... C’est ainsi qu’à chaque occasion qui lui est offerte, il prend la parole soit lors d’un enterrement au niveau du cimetière, soit au niveau des cercles culturels, au niveau des cafés... chaque fois la police le pourchasse. La population commence à témoigner de l’admiration pour ce tribun malgré la surveillance des policiers qui recensent chaque présent. A cette époque, Messali Hadj vit en même temps que les Algériens un événement historique remarquable, qui se déroule au niveau d’un pays musulman et qui a longtemps symbolisé la grandeur de la « oumma islamia ».
Il s’agit de la Turquie, qui entreprend sous la férule de Mustapha Kamel ou Attaturk un programme de modernisation. Une grande sympathie de l’élite algérienne est vouée à ce leader, Une association « les jeunes Turcs » voit le jour, elle s’inspire de cet engagement nationaliste pour secouer le joug colonial. Les Européens aimaient s’installer sur la terrasse d’un bar « le Cambrinus », situé sur la place centrale de Tlemcen.
En été, leur seigneurie goûtait un plaisir charnel en phase avec la douceur des ses fins de soirées agréables prélevées à une autre communauté. Ils laissaient sourdre une quiétude ostentatoire, qui révoltait certainement même leurs compatriotes démunis. C’est le moment pour les officiers d’étaler leurs faits d’armes aux belles dames qui se laissaient bercer et berner par les récits légendaires des conquêtes d’Afrique et au-delà. Un soir, Messali Hadj se faufile entre les tables, rompt cette sérénité, et crie « Vive Mustapha Kamel Attaturk ».
En 1918, Messali Hadj est mobilisé pour accomplir son service militaire devenu désormais obligatoire. Il effectue la durée de son incorporation au niveau d’une caserne à Bordeaux. Là encore, il constate le comportement ségrégationniste des officiers envers les Africains considérés comme des soldats de second ordre, disqualifiés pour les promotions, pour la solde... Il est d’avantage outré, car il considère que l’armée doit être une instance apolitique, et qu’exposant d’avantage ses éléments à la mort, elle doit être plus humaine. A cette désaffection, s’ajoute celle de l’information concernant la fermeture administrative en 1919-1920 de la zaouïa du « Cheikh Benyelles ».
Démobilisé en 1921, il retourne à Tlemcen, sa ville natale, où il reprend ses discours anticoloniaux. Cette même année, Tlemcen accueille pour la deuxième fois l’Emir Khaled pour visiter une medersa libre nommée « Echabiba ». Cette école enseigne discrètement la langue et autres matières en arabe. Officiellement, elle accueille des jeunes enfants pour leur apprendre des travaux manuels. Il va s’en dire qu’elle fait l’objet d’une surveillance de très près par la police. Messali Hadj est parmi l’assistance, mais n’apprécie pas le comportement de l’Emir Khaled.
Il lui reproche, entre autres, son penchant pour les bourgeois et pour les intellectuels. Il aurait aimé qu’il soit plus proche du peuple. Messali Hadj continue à défier l’ordre établi, aucune menace ne le fait arrêter.
Bien plus, cette flamme anticoloniale qui dévore ses entrailles sera exacerbée par le décès de sa mère en 1922. Les menaces et les intimidations pleuvent à flot, c’est ainsi qu’en 1923, il décide de s’établir en France où le champ démocratique est plus tangible, loin des colons, la métropole reste une tribune plus efficace pour la médiatisation de ses idées. En mars 1926, Messali hadj âgé de 29 ans, doué de dons remarquables d’organisateur et d’une volonté inébranlable, crée un parti nationaliste «l’Etoile Nord Africaine ». Ce dernier tirera sa force du tempérament de son tribun Messali hadj qui sera un chef prestigieux.
En dépit de son titre, l’Etoile Nord Africaine sera cantonnée presque exclusivement aux seuls ouvriers des usines de Paris. L’adhésion intéressera essentiellement la communauté ouvrière, point d’élite ni de bourgeoisie. Elle comprenait en 1929 quatre mille membres. En effet, ce mouvement populaire trouvera un écho très favorable parmi les couches démunies d’abord en métropole puis en Algérie, constituant le rebus des colons. Messali hadj intensifie sa propagande par des tracts, des journaux et des conférences. «l’Etoile Nord Africaine» se distingue par un caractère prolétarien et révolutionnaire, par un goût marqué pour l’action direct.
A suivre
* Membre de l’Instance exécutive du FLN ex-député
Synthèse de l'article - Equipe Algerie-Monde.com
D'apres Le Quotidien d'Oran. www.lequotidien-oran.com. Par Baghli Abdelouahab *. Le 10 Novembre 2008.