kredence
22/01/2009, 08h33
Entretien avec Hamid Aït Amara professeur, en économie à l’INA
L’Algérie n’a pas l’agriculture pour vocation
Cet enseignant à la faculté des sciences économiques, ancien professeur à l’Institut national d’agronomie d’El Harrach (INA), sort cette semaine un ouvrage sous le titre
«Quel futur alimentaire pour l’Algérie» aux Editions Mille Feuilles, où il fait une analyse de la situation agricole et alimentaire de l’Algérie avec les perspectives à venir.
Propos recueillis par Fella M.
A l’issue des deux jours de travaux des journées d’étude consacrées au «rôle des Etats et leur intervention dans les économies nationales», les recommandations ont porté entre autres sur le développement de la politique agricole en Algérie pour assurer la sécurité alimentaire. Dans cet entretien accordé au Jour d’Algérie, cet expert dresse la situation du pays qui n’a pas de vocation agricole, ce qui peut être fait dans le domaine en dénonçant la corruption qui règne dans le secteur et tire la sonnette d’alarme.
Le Jour d’Algérie : L’Algérie a-t-elle une vocation agricole ?
Hamid Aït Amara : Non, malheureusement, l’Algérie n’a pas de vocation agricole. On le dit déjà depuis les années 1930. Pourquoi ? Parce qu’elle fait face à des contraintes naturelles très fortes. D’une part, un relief assez important de l’est à l’ouest du pays qui laisse peu d’espaces cultivables. Il est difficile de cultiver la montagne à partir d’une certaine pente. Il y a peu de terres, soit 8 millions d’hectares pour 35 millions d’habitants. Donc, c’est 0,20 hectare par personne alors que la moyenne est de 0,60 ha par tête. Il y a trois fois moins de terres qu’il en faut pour pouvoir produire ce qui nous est nécessaire. Pour comparaison, la Tunisie cultive 5,5 millions d’ha pour une population de 11 millions, donc un ratio de terre cultivable de 0,5 ha. Proportionnellement, ils ont deux fois plus de terres que l’Algérie. De plus, elle n’a pas les handicaps de l’Algérie.
Le deuxième handicap est la sècheresse car il ne pleut pas assez sur le nord de l’Algérie. Les deux tiers des terres sont sous une pluviométrie insuffisante. Cela détermine un système de culture appelé «extensif». C’est-à-dire qu’ on est obligé de laisser la moitié des terres au repos sans les cultiver, donc en terme technique «en jachère». En réalité, le ratio n’est pas de 0,20 mais de 0,10 ha par tête d’habitant.
Une autre contrainte agrologique, l’Algérie n’a pas de terre profonde et pas riche en minéraux puisque la capacité de rétention des sols est très faible donc ne peut retenir l’humidité lorsque la pluie tombe. Ce sont des sols pauvres. Le critère d’évaluation de la richesse ou la pauvreté des sols est le mus, c’est la matière organique qui compose ces sols et leur structure et enfin le choc extrêmement préjudiciable à la production des sols est la désertification et l’érosion des sols. Des sols en pente lorsqu’il pleut, s’ils ne sont pas couverts, la terre arable qui coule dans le ruissellement, ce qu’on appelle l’érosion par ruissellement est très très forte chez nous parce que les terres ne sont pas protégées. L’ensemble de ces contraintes physiques et climatiques des sols fait que les rendements sont trop faibles et les systèmes de culture ne peuvent pas cultiver plus intensément les sols. Voilà pourquoi nous avons une faible production agricole. Il faut se départir de l’idée qu’un jour l’Algérie atteindra l’autosuffisance alimentaire ou même un niveau appréciable de couverture alimentaire. L’Algérie est obligée d’importer toujours en grandes quantités notre nourriture de l’extérieur. L’Algérie ne peut pas nourrir sa population.
Que peut-on alors faire concrètement pour y remédier ?
On peut protéger nos terres et améliorer ce qui existe. Concrètement, le premier programme est celui de la protection des terres qui pourraient fournir au moins 500 000 emplois dans les campagnes et ils en ont besoin. Nous avons les moyens lorsqu’on en a pour faire une autoroute et des investissements pour la réalisation d’infrastructures, comme c’est le cas. Il faut aussi protéger les ressources naturelles, comme l’eau et sa mobilisation. Par exemple, les Tunisiens sont arrivés à 150 000 voire 200 000 ha de blé irrigués. On peut faire ici une irrigation complémentaire une ou deux fois dans l’année sur les Hauts Plateaux au moment où il le faut, on double les rendements. Donc, il existe des solutions pour augmenter la production mais cela ne veut pas dire que l’autosuffisance alimentaire est assurée. Il y a des marges de progrès que nous devons impérativement gagner. On pourra appeler cela «programme de rénovation rurale», qui existait déjà en 1950 en Algérie avec les zones de rénovation rurale dont la plus célèbre est à Zerriba sur la route de Bouira. Un travail qui a commencé à l’époque coloniale et qui a été abandonné après l’indépendance.
Le deuxième axe très important dans l’agriculture, la recherche agronomique et la vulgarisation pour apprendre au fellah car la plupart ont des pratiques d’éleveurs et non pas celles d’agriculteurs, en dehors des ouvriers agricoles qui ont disparu. Il faut apprendre aux éleveurs, qui font en particulier du lait, ce que c’est la production laitière et ceux qui font des céréales comment les cultiver de façon optimale. Pour cela, il faut de la recherche sur les meilleures pratiques et les sélectionner. En 1982, on avait gardé 180 000 ha dans des fermes dites de vulgarisation puis on a encore abandonné cela et on l’a saccagé. Produire nos semences au lieu d’en importer de plus en plus. C’est une catastrophe. Il faut reprendre toute la politique agricole et arrêter de penser que l’agriculture, c’est arroser d’argent un canal percé et des gens viennent se greffer sur les trous et prennent cet argent. La corruption a toujours accompagné les programmes d’«investissement».
Vous parlez de dessous de table ?
Ce n’est pas des dessous de table, c’est plus que ça. On a arrosé les campagnes ces dix dernières années et très peu est allé à la production. La gendarmerie de la wilaya d’Alger a fait une enquête et cela a été rendu public. Par ailleurs, il y a un énorme appétit d’un certain nombre de personnes pour accaparer les terres de l’Etat. Un type d’argument entendu lors des journées d’étude sur le rôle des Etats dans les économies nationales, qui prétend qu’on ne peut investir quand la terre ne lui appartient pas. Ces gens-là se moquent de nous, lorsque les deux tiers des terres en Algérie sont privées. Est-ce pour autant qu’ on voit des agriculteurs propriétaires investir ? L’arrière-pensée est claire. C’est l’accaparement des terres pour construire dessus ou dresser des hangars comme c’est le cas du domaine de Bouchaoui;i à 20 km du pouvoir central on a détruit un domaine de 1 100 ha lorsqu’il a été repris à Borgeaud en 1963. Il y a une incapacité de l’Etat à faire respecter la réglementation et protéger le patrimoine et les ressources. La question reste posée : pourquoi l’Etat a du mal ? Pas de réponse.
Depuis quarante ans on crie sur tous les toits sur la situation de l’agriculture et la politique agricole en Algérie. Il y a eu un certain nombre d’experts venus de l’étranger. en matière de recherche agronomique, le professeur René Dumont et ses collaborateurs m’ont précédé en tirant la sonnette d’alarme.
F. M.( Le jour d'Algérie )
L’Algérie n’a pas l’agriculture pour vocation
Cet enseignant à la faculté des sciences économiques, ancien professeur à l’Institut national d’agronomie d’El Harrach (INA), sort cette semaine un ouvrage sous le titre
«Quel futur alimentaire pour l’Algérie» aux Editions Mille Feuilles, où il fait une analyse de la situation agricole et alimentaire de l’Algérie avec les perspectives à venir.
Propos recueillis par Fella M.
A l’issue des deux jours de travaux des journées d’étude consacrées au «rôle des Etats et leur intervention dans les économies nationales», les recommandations ont porté entre autres sur le développement de la politique agricole en Algérie pour assurer la sécurité alimentaire. Dans cet entretien accordé au Jour d’Algérie, cet expert dresse la situation du pays qui n’a pas de vocation agricole, ce qui peut être fait dans le domaine en dénonçant la corruption qui règne dans le secteur et tire la sonnette d’alarme.
Le Jour d’Algérie : L’Algérie a-t-elle une vocation agricole ?
Hamid Aït Amara : Non, malheureusement, l’Algérie n’a pas de vocation agricole. On le dit déjà depuis les années 1930. Pourquoi ? Parce qu’elle fait face à des contraintes naturelles très fortes. D’une part, un relief assez important de l’est à l’ouest du pays qui laisse peu d’espaces cultivables. Il est difficile de cultiver la montagne à partir d’une certaine pente. Il y a peu de terres, soit 8 millions d’hectares pour 35 millions d’habitants. Donc, c’est 0,20 hectare par personne alors que la moyenne est de 0,60 ha par tête. Il y a trois fois moins de terres qu’il en faut pour pouvoir produire ce qui nous est nécessaire. Pour comparaison, la Tunisie cultive 5,5 millions d’ha pour une population de 11 millions, donc un ratio de terre cultivable de 0,5 ha. Proportionnellement, ils ont deux fois plus de terres que l’Algérie. De plus, elle n’a pas les handicaps de l’Algérie.
Le deuxième handicap est la sècheresse car il ne pleut pas assez sur le nord de l’Algérie. Les deux tiers des terres sont sous une pluviométrie insuffisante. Cela détermine un système de culture appelé «extensif». C’est-à-dire qu’ on est obligé de laisser la moitié des terres au repos sans les cultiver, donc en terme technique «en jachère». En réalité, le ratio n’est pas de 0,20 mais de 0,10 ha par tête d’habitant.
Une autre contrainte agrologique, l’Algérie n’a pas de terre profonde et pas riche en minéraux puisque la capacité de rétention des sols est très faible donc ne peut retenir l’humidité lorsque la pluie tombe. Ce sont des sols pauvres. Le critère d’évaluation de la richesse ou la pauvreté des sols est le mus, c’est la matière organique qui compose ces sols et leur structure et enfin le choc extrêmement préjudiciable à la production des sols est la désertification et l’érosion des sols. Des sols en pente lorsqu’il pleut, s’ils ne sont pas couverts, la terre arable qui coule dans le ruissellement, ce qu’on appelle l’érosion par ruissellement est très très forte chez nous parce que les terres ne sont pas protégées. L’ensemble de ces contraintes physiques et climatiques des sols fait que les rendements sont trop faibles et les systèmes de culture ne peuvent pas cultiver plus intensément les sols. Voilà pourquoi nous avons une faible production agricole. Il faut se départir de l’idée qu’un jour l’Algérie atteindra l’autosuffisance alimentaire ou même un niveau appréciable de couverture alimentaire. L’Algérie est obligée d’importer toujours en grandes quantités notre nourriture de l’extérieur. L’Algérie ne peut pas nourrir sa population.
Que peut-on alors faire concrètement pour y remédier ?
On peut protéger nos terres et améliorer ce qui existe. Concrètement, le premier programme est celui de la protection des terres qui pourraient fournir au moins 500 000 emplois dans les campagnes et ils en ont besoin. Nous avons les moyens lorsqu’on en a pour faire une autoroute et des investissements pour la réalisation d’infrastructures, comme c’est le cas. Il faut aussi protéger les ressources naturelles, comme l’eau et sa mobilisation. Par exemple, les Tunisiens sont arrivés à 150 000 voire 200 000 ha de blé irrigués. On peut faire ici une irrigation complémentaire une ou deux fois dans l’année sur les Hauts Plateaux au moment où il le faut, on double les rendements. Donc, il existe des solutions pour augmenter la production mais cela ne veut pas dire que l’autosuffisance alimentaire est assurée. Il y a des marges de progrès que nous devons impérativement gagner. On pourra appeler cela «programme de rénovation rurale», qui existait déjà en 1950 en Algérie avec les zones de rénovation rurale dont la plus célèbre est à Zerriba sur la route de Bouira. Un travail qui a commencé à l’époque coloniale et qui a été abandonné après l’indépendance.
Le deuxième axe très important dans l’agriculture, la recherche agronomique et la vulgarisation pour apprendre au fellah car la plupart ont des pratiques d’éleveurs et non pas celles d’agriculteurs, en dehors des ouvriers agricoles qui ont disparu. Il faut apprendre aux éleveurs, qui font en particulier du lait, ce que c’est la production laitière et ceux qui font des céréales comment les cultiver de façon optimale. Pour cela, il faut de la recherche sur les meilleures pratiques et les sélectionner. En 1982, on avait gardé 180 000 ha dans des fermes dites de vulgarisation puis on a encore abandonné cela et on l’a saccagé. Produire nos semences au lieu d’en importer de plus en plus. C’est une catastrophe. Il faut reprendre toute la politique agricole et arrêter de penser que l’agriculture, c’est arroser d’argent un canal percé et des gens viennent se greffer sur les trous et prennent cet argent. La corruption a toujours accompagné les programmes d’«investissement».
Vous parlez de dessous de table ?
Ce n’est pas des dessous de table, c’est plus que ça. On a arrosé les campagnes ces dix dernières années et très peu est allé à la production. La gendarmerie de la wilaya d’Alger a fait une enquête et cela a été rendu public. Par ailleurs, il y a un énorme appétit d’un certain nombre de personnes pour accaparer les terres de l’Etat. Un type d’argument entendu lors des journées d’étude sur le rôle des Etats dans les économies nationales, qui prétend qu’on ne peut investir quand la terre ne lui appartient pas. Ces gens-là se moquent de nous, lorsque les deux tiers des terres en Algérie sont privées. Est-ce pour autant qu’ on voit des agriculteurs propriétaires investir ? L’arrière-pensée est claire. C’est l’accaparement des terres pour construire dessus ou dresser des hangars comme c’est le cas du domaine de Bouchaoui;i à 20 km du pouvoir central on a détruit un domaine de 1 100 ha lorsqu’il a été repris à Borgeaud en 1963. Il y a une incapacité de l’Etat à faire respecter la réglementation et protéger le patrimoine et les ressources. La question reste posée : pourquoi l’Etat a du mal ? Pas de réponse.
Depuis quarante ans on crie sur tous les toits sur la situation de l’agriculture et la politique agricole en Algérie. Il y a eu un certain nombre d’experts venus de l’étranger. en matière de recherche agronomique, le professeur René Dumont et ses collaborateurs m’ont précédé en tirant la sonnette d’alarme.
F. M.( Le jour d'Algérie )