Algérie : L’or gris et la spécificité algérienne
Algérie - Le phénomène de la fuite des cerveaux en Algérie a fait couler beaucoup d’encre et de salive. Le bon sens, pourtant, veut qu’avant de penser à rapatrier ceux qui ont mis les voiles pour une raison ou une autre, il serait plus judicieux de penser à garder ceux qui n’ont pas encore été tentés par le chant des sirènes.
Il est vrai que par les temps qui courent, l’or gris, très prisé sur le marché international du savoir, est devenu une denrée très rare que les pays les plus développés s’arrachent, n’hésitant pas, après avoir longtemps pillé l’hémisphère sud de ses ressources naturelles, de puiser un autre gisement plus rentable et à moindres frais.
Faut-il s’étonner que la superpuissance américaine, qui écrase tout sur son passage, rafle pratiquement tous les prix Nobel mis en jeu cette année? C’est-là où réside la force des Etats-Unis d’Amérique: ses chercheurs sont à la pointe dans tous les domaines. Mais les gardiens du temple américain, pragmatisme oblige, ne se contentent pas du cru local.
Ils ont développé une politique agressive, qui fait peur même à leurs propres alliés, afin d’inciter chercheurs et étudiants doués à venir intégrer les rangs des universités de Yale, Princeton ou autre Harward. C’est de bonne guerre comme dirait le très belliqueux George W. Bush. On peut relever le cas (avec fierté? amertume?) du chercheur Elias Zerhouni, pur produit de l’université algérienne, qui s’est retrouvé à la tête du puissant institut de santé américain doté d’un budget de 65 milliards de dollars. Le cas Zerhouni n’est pas un cas isolé.
Et malgré toutes les méchancetés qui ont été déversées sur la capacité de l’université algérienne à être compétitive, ce temple du savoir continue malheureusement à pourvoir les centres de recherche européens et nord-américains de cadres de très haute qualité. Le Canada n’arrête pas de «voler» nos informaticiens, la France nos médecins et tout récemment les riches pétro-monarchies du Golfe nos hydrogéologues, nos hydrauliciens et nos pilotes. Existe-t-il vraiment une stratégie pour vouloir arrêter l’hémorragie?
Cette perte sèche pour l’économie nationale se chiffre en milliards de dollars et une fois n’est pas coutume, l’or gris vient bousculer le pétrole à la tête des exportations algériennes. On peut gloser sur les raisons qui ont poussé nos brillants chercheurs à plier bagages et à partir sous d’autres cieux; on peut s’ingénier à essayer de solutionner cette équation à plusieurs inconnues mais le plus urgent et le premier pas dans cette voie, celle de la raison pure, est de faire en sorte de garder ceux qui sont encore là.
Ils sont nombreux ceux qui ont préféré braver la mort et rester au pays durant la décennie rouge en payant un lourd tribut pour que l’université algérienne reste debout car il n’y a pas pire ennemi du savoir que l’ignorance la plus abjecte. Ils ont assuré leur devoir sacré: faire reculer l’ignorance, au moment où leurs conditions de vie amorçaient une chute libre vers la misère.
Le salaire d’un enseignant du supérieur est passé ainsi de 8,1 fois le Smig en 1989 à pratiquement 2,5 le même salaire de référence par la grâce des ajustements structurels successifs et l’infamante politique de la vérité des prix entamée avec le divorce à l’amiable de l’économie algérienne avec le socialisme, de la mamelle ou autres, autrefois option «irréversible» et le passage de l’Algérie à une économie qui ressemble à celle que les spécialistes appellent «de marché», globalisation oblige. La situation injuste à laquelle était confronté l’enseignant universitaire et partant la grogne qui s’en suivit, a donné lieu, au milieu des années quatre-vingt dix, à la plus longue grève, jamais connue en Algérie, organisée par le CNES, le syndicat du supérieur.
Depuis, la situation ne s’est guère améliorée et l’université algérienne ne cesse de connaître des «perturbations» cycliques pour doter l’enseignant universitaire d’un droit jugé légitime par la tutelle même, le statut particulier qui lui rende, un tant soit peu, sa dignité; un texte amarré à la réforme des statuts généraux de la fonction publique, maintes fois reportée, mais qui semble être selon les pouvoirs publics sur la bonne voie, après son passage devant les deux chambres du Parlement.
Pendant toute cette période de bras de fer entre le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique (Mesrs) et le syndicat des enseignants du supérieur, la tutelle s’occupait uniquement de la gestion du flux des étudiants. A chaque rentrée universitaire, des chiffres sur les places pédagogiques, les nouvelles résidences, mais point de geste concret envers le pilier de l’édifice universitaire, qu’est l’enseignant.
Mais, il y a au moins une bonne nouvelle pour les pouvoirs publics: le flux estudiantin va connaître une certaine stabilité et pour une longue période et ce, pour deux raisons. D’abord, la courbe ascendante de la démographie nationale a connu un fléchissement dans les années de la décennie rouge avec le recul du taux de mariage et par ricochet celui de natalité. Cette tendance lourde a atteint son paroxysme dans l’année 1996 où seulement 240.000 élèves se sont inscrits en première année, presque le tiers par rapport aux années précédentes, et où les enseignants du primaire ont connu, à leur tour, le problème du surnombre dans les écoles.
Cette génération va rejoindre les bancs des campus et va dégraisser involontairement les effectifs de l’université algérienne. Ensuite, l’option de généralisation du système; licence, master, doctorat ou LMD à toutes les universités algériennes va écourter le cursus universitaire pour nos étudiants et libérer ainsi des places pédagogiques, véritable enjeu de l’introduction de ce système qui a besoin de moyens gigantesques pour être concrétisé dans des normes universelles.
Cependant, cet optimisme quant à la baisse sensible des effectifs de nos étudiants, dans les années à venir, peut être remis en cause en cas de réussite exceptionnelle au bac ou encore la tentation de chacun de nos parlementaires de vouloir ériger un centre universitaire dans son village natal. Une fois la stabilité des effectifs établie, l’Etat pourra axer ses efforts en vue de rattraper l’énorme retard accumulé durant les années de braise, mais là encore, stabilité du nombre des étudiants ne veut pas dire stabilité des enseignants car nous vivons dans un monde impitoyable où les sentiments sont bannis et où chaque pays veille à ses propres intérêts quitte à promulguer des lois, pour les nations les plus nanties, aux incidences dramatiques pour leurs homologues en voie de développement.
Dans ce contexte, il faut placer la loi Sarkozy sur l’immigration «choisie et non subie» comme aime à le répéter le bouillant présidentiable de la droite française au pouvoir. L’auteur de cette loi a clairement précisé qu’il y va de l’intérêt suprême de la France pour espérer attirer les jeunes chercheurs du monde entier et leur offrir les conditions nécessaires pour leur travail et contribuer ainsi à maintenir le niveau de la recherche en France au même titre que celui de l’Amérique du Nord, du Japon ou des nouveaux venus sur la scène technologique que sont la Chine et l’Inde.
Même la très aryenne Allemagne s’est rangée à son tour et commence à faire les yeux doux aux informaticiens du monde entier non sans avoir auparavant touché à son sacro-saint code de la nationalité. Pour dire que la bataille fait rage pour exploiter le gisement de l’or gris du tiers-monde quand celui-ci ne sait pas le faire lui-même.
Le cas de la France nous interpelle à plus d’un titre pour des causes socio-historiques évidentes et l’atout majeur qui est le fonds linguistique commun. La nouvelle loi votée par le parlement français facilite énormément l’installation des jeunes chercheurs sur leur sol. Même les étudiants inscrits dans la métropole sont encouragés à y rester.
Quand on sait le nombre de médecins algériens établis en France, des statistiques parlent de 7.000 dont la moitié des spécialistes dont l’Algérie a tant besoin, et l’énorme déficit dont souffre la France dans ce domaine, on ne peut que rester songeur devant les dégâts que va occasionner cette loi pour notre pays qui, le Président l’a rappelé à l’occasion de l’ouverture de l’année universitaire, continue de «former pour les autres». La France, c’est son droit, ne veut pas rester à la traîne des avancées technologiques.
Quelques rappels: 98% des informations sur internet sont en anglais, les recherches françaises se publient de plus en plus dans la langue de Shakespeare et les chercheurs français peinent à se faufiler parmi les lauréats du prix Nobel. D’ailleurs, les chercheurs français sont plusieurs fois montés au créneau pour exiger un budget plus conséquent à même de garantir la compétitivité française dans le domaine de la recherche. Un professeur algérien établi depuis 1994 en France nous a déclaré à ce propos: «les Français sont vraiment en retard par rapport à l’Amérique du Nord où à titre d’exemple les bibliothèques sont ouvertes tous les jours et les livres mis à la disposition des chercheurs à toute heure. Jours fériés, «connaît pas».
Que dire de notre pays sinon qu’il y a urgence à répondre par une stratégie concrète pour faire face à ce véritable défi lancé par la loi Sarkozy. Passé le bout du tunnel, l’Algérie n’a pas d’autres choix que de stabiliser son encadrement universitaire objet de toutes les convoitises en lui rendant sa dignité et en lui donnant les moyens d’accomplir sa noble mission dans des conditions optimales.
Quand les universitaires parlent de dignité, du recouvrement de la place qui leur revient de droit dans la société, le ministre parle de la revalorisation salariale de 5.000 dinars! A l’heure de la globalisation, de l’alignement sur les normes universelles, c’est très facile de parler des bienfaits du week-end universel, l’enseignant universitaire ne comprend pas qu’il soit rémunéré autant que son homologue du Burkina Faso loin derrière ses voisins marocains, tunisiens ou encore mauritaniens.
A l’inverse de ses voisins, l’Algérie a les moyens de devenir à son tour un véritable pôle de recherche méditerranéen et pourquoi pas à son tour offrir les conditions pour les chercheurs maghrébins, africains ou arabes à concrétiser leurs projets de recherche.
L’Algérie pourra cultiver des domaines où elle a des atouts non négligeables en commençant par la médecine, en encourageant la création de vrais pôles hospitaliers qui draineront des patients du pourtour méditerranéen. Ce n’est pas du surréalisme loin s’en faut, il suffit juste de mettre les moyens qu’il faut et une politique réfléchie loin de toute démagogie populiste et si la Tunisie attire des patients de luxe français, l’idée n’est pas aussi surréaliste que ça.
Un autre atout milite en faveur de notre pays: bien qu’elle soit imparfaite, une certaine liberté d’expression existe, bel et bien, chez nous et il n’y a que notre pays qui ne connaît pas de lignes rouges à ce propos. Beaucoup de nos voisins et frères nous envient pour cela et rêvent d’avoir la même liberté de ton. L’occasion est bien réelle d’attirer tout ce beau monde pour le bien de notre pays pourvu que la volonté existe. D’autres raisons simples peuvent être avancées pour répondre aux doléances des enseignants du supérieur.
En effet et pour rester dans la logique des calculs d’épicier chère à l’austère ex-chef du gouvernement Ahmed Ouyahia, il suffit de prendre sa calculette pour savoir que la revalorisation conséquente des salaires des universitaires coûtent nettement moins que la perte d’un chercheur dont la formation se chiffre à des milliards pour ne pas dire inestimable pour le cas de ceux à l’instar d’Elias Zerhouni ou l’économiste Omar Aktouf au Canada que l’Algérie a déjà perdus et qui ont obtenu la nationalité de leur pays d’accueil. L’or gris est une matière très fragile, à manipuler avec une attention particulière.
Il faut signaler pour conclure, que le système éducatif algérien est quelque peu coupable dans la dilapidation de notre précieuse matière grise. Le système de l’orientation scolaire fait que les élèves algériens les plus doués sont versés vers les matières scientifiques tandis que les autres penchent vers les matières littéraires. Il faut voir les débouchés des deux grandes spécialités pour comprendre que nous avons de très bons médecins, architectes ou ingénieurs et de piètres gestionnaires.
Par Benekrouf Blaha, enseignant universitaire - Quotidien d'Oran
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