MOHAMED BENCHICOU : 700 jours de prison, à 30 jours de la liberté |
Le 14 juin prochain, le directeur de la publication du quotidien Le Matin bouclera ses deux années d’incarcération à la prison d’El- Harrach.
Dans moins d’un mois, il quittera sa geôle, où il a déjà passé 700 jours pour “infraction à la réglementation sur le change”. Un délit qui, en fait, en cache un autre, le vrai, qui est celui de “la liberté d’écrire”.
D’aucuns savent que Mohamed Benchicou a été arrêté le 14 juin 2004 pour ses écrits. Son incarcération fait suite à une cavale judiciaire orchestrée par le pouvoir 9 mois avant son arrestation.
Son tort, et celui d’autres journalistes, est d’avoir révélé des scandales politiques. Tout le monde s’en souvient.
Cela a commencé le 13 août 2003. Pour sanctionner cette presse qui a “osé” publier des “affaires politiques à scandale”, le président Bouteflika, par le biais de son chef du gouvernement, Ahmed Ouyahia, somme les imprimeries de ne plus tirer les journaux qui ont révélé à l’opinion publique ces scandales.
Le 18 août 2004, six titres indépendants dont Le Matin ont été suspendus à cet effet.
A cette même période, le directeur général des douanes adresse une lettre à Ahmed Ouyahia où il est expliqué qu’aucune infraction à la loi n’avait été relevée par ses services “seuls habilités à le faire”, concernant les bons de caisse trouvés chez Mohamed Benchicou.
Le 26 août 2003, le journal Le Matin paye ses dettes et reparaît après 9 jours de suspension.
Le lendemain, son directeur de la publication est placé sous contrôle judiciaire pour possession de bons de caisse lors de son interpellation à l’aéroport d’Alger et doit se rendre, une fois par semaine, au commissariat de police pour marquer sa présence.
Les poursuites judiciaires contre les journalistes iront, depuis, crescendo. Ainsi, le 8 septembre 2003, Benchicou et le caricaturiste de Liberté, Ali Dilem, sont entendus par la police ; le directeur du Matin, sur plus de vingt écrits entre chroniques, articles et éditoriaux.
Le 9 novembre 2003, l’examen de la demande en appel introduite par les avocats de Benchicou pour la levée de la mise sous contrôle judiciaire décidée à son encontre trois mois avant par le tribunal d’El-Harrach est renvoyé au 16 novembre. Le renvoi est justifié par le fait que le “dossier est incomplet”.
Le 17 novembre de la même année, la chambre d’accusation de la cour d’Alger rejette la demande de la levée de la mesure de mise sous contrôle judiciaire introduite par le collectif d’avocats de Mohamed Benchicou. Le pouvoir s’acharne et accélère la machine judiciaire. Le 6 décembre 2003, le directeur du Matin est convoqué aux services des atteintes aux personnes de la Sûreté de wilaya d’Alger pour deux chroniques “La république de la pharmacie Boualfa”, et la seconde signée Inès Chahinez intitulée “Le cousin de la voisine du roi”.
Le 11 janvier 2004, il est destinataire d’une nouvelle convocation émanant du service des atteintes aux personnes de la Sûreté de wilaya d’Alger, qui, cette fois, lui reproche la publication d’un édito analysant l’opportunité d’un front anti- Bouteflika.
Six jours plus tard, accusés d’outrage au président, Benchicou et Ali Dilem sont interpellés par la police. Ils sont alors conduits au commissariat et présentés devant le procureur et le juge d’instruction près le tribunal d’Alger.
Le 9 février 2004, la chambre d’accusation de la cour d’Alger maintient la mise sous contrôle judiciaire du directeur du Matin. Le 30 mai 2004, après 9 mois de mise sous contrôle judiciaire, le procès de Mohamed Benchicou, auteur du livre Bouteflika, une imposture algérienne,est ouvert.
Le 14 juin 2004, Mohamed Benchicou est condamné à 2 ans de prison ferme avec mandat de dépôt et une amende de 3 milliards de centimes par le tribunal d’El-Harrach pour infraction à la réglementation sur le change. Le verdict a jeté la consternation dans toutes les rédactions nationales.
Depuis, s’est actionnée une mobilisation nationale et surtout internationale. Ainsi, à chaque occasion, la société civile, partis politiques, journalistes du monde entier ont exprimé leur soutien à Benchicou.
Des marches, des rassemblements ont eu lieu en signe de solidarité avec celui qui a toujours accompagné le mouvement citoyen. Sans journal, en prison, Benchicou, le journaliste écrivain, se voit attribuer des prix internationaux pour ses écrits, son courage et son combat pour la liberté d’écrire.
Le 29 mars 2006, le Centre américain de l’association mondiale des écrivains Pen International, basée à Londres, lui décerne le prix “Barbara Goldsmith, Freedom to Write”.
Anna Kushner, coordinatrice du Freedom Write, a estimé que cette “reconnaissance traduit le soutien de tous les membres du centre et des écrivains du monde entier à la cause de Mohamed Benchicou”.
Par R. S. - Le Soir d'Algérie
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